Les enquêtes 2018-2019 : Travail et numérique

Le « numérique » s’est imposé depuis une vingtaine d’années dans la plupart des communications officielles comme incontournable pour le développement de nos sociétés et le retour de la croissance. Après avoir cherché à lutter contre la « fracture numérique » et la disparité de l’accès au réseau, les politiques publiques visent l’inclusion numérique par des dispositifs de médiation et d’éducation.  Les enquêtes menées par nos étudiant.e. s ont scruté quelques-uns de ces dispositifs. Elles mettent en évidence les disparités sociales dans les usages du numérique.

Agathe Barisan

Médiations au numérique pour accéder au travail

Si le taux de pénétration d’internet dans les foyers français est de plus en plus élevé, ceux qui en sont éloignés en ressentent d’autant plus le besoin de s’y initier pour écrire, trouver un emploi, un logement ( voir l’article Exclus du numérique : le combat d’Emmaüs Connect à Saint-Denis). Ceux qui doivent les accompagner développent des trésors d’inventivité pour faciliter cet accès, parfois en passant par le jeu (Jeux de connexion : Une nouvelle approche de la médiation numérique). Dans certains territoires, les agents publics doivent pourtant batailler pour maintenir des espaces publics dédiés aux médiations numériques (Le numérique public aux Courtillières : un accès fait de distances).

Le numérique transforme les modalités du travail

Travailler avec le numérique recouvre des situations et des défis très divers. Les entreprises favorisent des usages de certaines plateformes grand public à mi-chemin entre usages professionnels et usages privés, une stratégie qui vise à renforcer la solidarité dans l’entreprise mais peut aussi se révéler invasive (Usages de Whatsapp dans le contexte professionnel : pour renforcer la cohésion sociale?). D’autres applications organisent un coaching collaboratif de la vie privée des utilisateurs, par exemple de leurs choix alimentaires, pour mieux orienter les stratégies commerciales et productives des entreprises concernées ( L’application Yuka : nouveau porte parole du « bien-manger »). La frontière entre vie privée et vie professionnelle devient d’autant plus ténue : une situation particulièrement complexe pour un travailleur indépendant (Travail et vie privée : les nouvelles normes impulsées par l’ère numérique). La relative désinstitutionnalisation que mettent en oeuvre les plateformes numériques permet aussi à certaines, qui veulent vivre conformément à leurs prescriptions religieuses, de concilier activité professionnelle et travail à domicile (Réseaux sociaux: le tremplin insoupçonné des femmes voilées voilées). Pour d’autres la régulation de l’activité professionnelle par le rythme des plateformes engendre des formes de dépendance et de précarité nouvelles (En route vers la Gig Economy).

Les attentes (numériques) du monde de la culture

Le monde de la culture attend aussi beaucoup du développement des plateformes numériques : des sites mettent en lien hôtes et artistes pour accroitre les possibilités de résidence (Faire de votre salon une résidence d’artiste ?), expérimentant de nouvelles formes de mécénat, la communication numérique est attendue comme la source du renouvellement des publics, tant pour les musées (Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis : une envie numérique) que pour les théâtres (Le pari numérique de la MC93 : conquérir le public de Seine-Saint-Denis).

Approches photographiques:  variété des écritures visuelles et enrichissement des enquêtes sociales

Évitant le piège de la simple illustration, le travail photographique participe de ces enquêtes principalement sous forme de reportages au centre desquels le portrait, jadis dominant, se fait plus rare. Du visage d’un jeune coursier qui se fond dans les lumières ambiantes de la nuit (L. Jacquet, Gig Economy) à la représentation figurée de la femme voilée chef d’entreprise auréolée d’une couleur jaune sucrée et érigée en symbole (E. Jaïdane, femmes voilées), la recherche de l’anonymat est au cœur des préoccupations des photographes. Comment représenter tout en restant en-deçà de l’identification ? Comment photographier ces femmes et ces hommes compte-tenu des difficultés liées au respect du droit à l’image ? Aujourd’hui, la figure tutélaire de Nordine Djabouabdallah (J. Paulet, Goutte d’Ordinateur), face caméra, est une exception, tandis que le portrait de la Cité des Courtillières à Pantin (L. Dewynter) laisse entrevoir autant la force que la solution juridique d’une représentation du collectif : saisir la présence humaine plutôt que son individualité.

À partir d’une thématique, démonstration est faite du travail des photographes comme auteurs à travers la multiplicité des approches photographiques, de l’enregistrement strict de la réalité à sa suggestion en passant par des formes variées de re-création. Alors que les inspirations héritées des univers de la mode, de la publicité ou des réseaux sociaux (A. Clauzier, Yuka ; E. Jaïdane, femmes voilées) interrogent la frontière ténue et l’influence féconde entre la photographie dite « appliquée » ou « amateur » et le regard de professionnels, la recherche d’équivalents visuels à l’enquête sociale et à ses conclusions, s’incarne aussi dans la photographie d’architecture et ses questionnements urbanistiques (E. Comte et S. Krzyzaniak, MC93 et Résidences d’artistes).

D’autres démarches comme l’usage de basses lumières (A. Wallon, Travail et vie privée ; A. Lefaux, Whatsapp) en échos à la lumière bleue des ordinateurs ; l’emploi de cadrages serrés mettant en avant la prédominance du matériel (A. Sellem, Emmaüs Connect) ; ou bien encore le recours à des manipulations telles les surimpressions (A. Loget) ou les séquences photographiques (A. Barisan) illustrent cette variété d’écritures visuelles, dont le récit fictionnel offert par les images de synthèse (S. Baillin) atteint un point ultime.

Journée d’étude 22 février 2019

Remerciements

Les étudiant.e.s ont bénéficié du soutien de Pascale Colisson, de sa double expérience de journaliste professionnelle et d’enseignante à l’Institut pratique du journalisme de l’université Paris-Dauphine, de Nadège Abadie, photographe, enseignante à l’ENS Louis- Lumière, de Yohann Cordelle, ingénieur et créateur de site, à l’Atelier Oz.

Le master 2 Plateformes numériques : logiques, stratégies, enjeux

Le master 2 « Plateformes numériques » est une spécialisation de seconde année, du master Industries culturelles et créatives, de l’UFR Culture et communication, présentation du master 2 Plateformes numériques  de l’Université Paris 8, voir ici.

Ecole nationale supérieure Louis-Lumière : https://www.ens-louis-lumiere.fr/

Contacts : Sophie Jehel, MCF Université Paris 8 Saint-Denis, sophie.jehel (arobase) univ-paris8.fr; Véronique Figini-Veron, MCF ENS Louis-Lumière, v.figini (arobase )ens-louis-lumiere.fr.

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