Faire de votre salon une résidence d’artiste

La plateforme Host an artist propose l’idée originale d’accueillir un artiste à domicile pour un temps déterminé en échange d’une œuvre. Une forme de résidence collaborative[1] qui entend pallier une situation défavorable aux artistes  mais dont le modèle n’est pas encore performant.

« La résidence est une parenthèse bénéfique. Le fait de se couper du quotidien, c’est une purification de toutes les habitudes nécessaire pour le travail». Camilla Pongiglione, architecte et artiste plasticienne a bénéficié de la mise en relation créée par la plateforme Host an artist, pour entrer en résidence chez un particulier. Une alternative collaborative séduisante à l’heure où il devient de plus en plus difficile pour un artiste d’être accueilli dans les résidences « officielles ». 

En effet, en juin 2018, le président Emmanuel Macron confiait à Thierry Tuot, conseiller d’Etat et président du conseil d’administration de la Villa Médicis, le pilotage de la réforme prochaine du soutien des artistes par les résidences[2]. Cette réforme pourrait accroître la sélectivité des résidences afin de les rendre plus attractives pour les artistes étrangers les plus renommés[3]. La serrure risque fortement de se refermer et trouver une résidence deviendrait une quête difficile, pour l’immense majorité des artistes, professionnels ou non. 

En France, l’artiste manque de résidences, qu’il vienne chez nous!

Le ministère de la Culture reconnaît trois types de résidence : la résidence de création et d’expérimentation  (permettant à un artiste de produire une oeuvre originale) ; la résidence de diffusion territoriale (qui donne à l’artiste une mission artistique ancrée dans un territoire) ; la résidence « association » (qui rassemble les deux résidences précédentes mais sur une durée plus longue)[4].

La résidence, historiquement, est une forme contemporaine de mécénat, qui a pour ambition de créer un contexte propice à la production d’une œuvre originale par un artiste ou un groupe d’artistes et/ou sa diffusion dans un territoire pour le plus grand nombre, dans une optique d’éducation culturelle et artistique.[5]  La résidence a pour fonction de faciliter un travail de création par la mise à disposition de moyens financiers, matériels ou humains.

L’Etat soutient environ 500 résidences et ateliers mis à disposition des artistes en France[6]. Pour Anne Roquigny et David Guez, curatrice et artiste, et créateurs de la plateformeHost an artist, c’est trop peu. Créée en 2014, la plateforme entend pallier ce manque de lieux de travail et faciliter l’accès aux résidences d’artiste. Fonctionnant sur le mode de l’économie circulaire, elle « doit permettre de relier artiste et citoyen, mais aussi institutions et initiatives locales », selon David Guez. La plateforme met en lien des propriétaires d’espaces non utilisés ou à partager et des artistes porteurs d’un projet et en recherche d’un lieu de travail et d’expérimentation. Pour trouver un cocon paisible, les artistes vont alors chercher sur le site parmi une liste d’hôtes présentant chacun leur demeure et disposés à les accueillir. Une fois la résidence sélectionnée, l’artiste écrit au propriétaire pour une première prise de contact. Si le projet proposé lui plaît, un contrat est alors signé par les deux parties déterminant la durée de la résidence, ainsi que le type « d’œuvre d’art »[7] donnée à l’issue de la résidence.

Sur le principe de l' »économie du don »

Host an Artist vise ainsi la promotion d’une sphère économique moins impersonnelle, tournée vers l’échange et l’entraide, plateforme collaborative que Maxime Lembrecht désigne comme une « économie du don »[8]. fondée sur un lien « de réciprocité différé »[9]. La plateforme espère alors favoriser un lien social plus intense et plus authentique, absent des relations commerciales existantes.

 Dans cette résidence de déconnexion avec le quotidien, l’artiste peut alors entreprendre toutes les expérimentations, chercher, poursuivre un travail qui doit laisser place à l’émergence d’une idée. C’est également un lieu d’échanges, selon David Guez : « Cela permet aussi aux citoyens de côtoyer des artistes. En démocratisant ce principe, on espère des rencontres inédites .»

L’hôte, nouveau mécène particulier du monde de l’art 

Les rencontres inédites sont largement imprévisibles. Contrairement aux trois types de résidence reconnues par l’Etat, le fonctionnement de cette résidence collaborative et sa réalisation dépendra de la relation hôte-artiste. La figure de l’hôte est alors un nouvel acteur qui est en capacité d’interférer dans le quotidien de l’artiste. «  J’ai vécu une semaine avec mon hôte qui était une personne très âgée. En plus de mon travail artistique quotidien, je me suis aperçue que j’avais pour tâche dissimulée de m’occuper d’elle, ou encore d’arroser les plantes du jardin. On ne sait pas trop à quoi s’attendre avant de rencontrer son hôte », nous dit Camilla Pongiglione.

Le manque de précisions au sujet du contrat signé entre les artistes et les hôtes laisse de l’espace à des demandes qui peuvent être perçues par certains artistes comme une utilisation exagérée de leur travail. « J’ai renoncé à deux invitations pour ce type de problème : demande de dessin ou suggestion de peindre ou de sculpter quelque chose dans le goût -l’attente- de l’hôte, sans rapport avec le projet», affirme Lou, peintre et hôte.

Certains hôtes utilisent la plateforme collaborative comme un moyen d’acquisition d’œuvres, sans tenir compte du projet ou du travail créatif de l’artiste. Ainsi l’absence de régulation ou de médiation des rapports entre artiste et hôte autorisent des flottements soumis aux aléas du hasard, donnant parfois des quiproquos : « Un artiste marocain s’attendait à être accueilli pour enregistrer [un album], heureusement j’avais du matériel, on a pu s’arranger», explique ainsi Myrielle, hôte en Ile-de-France.

© Sara Krzyzaniak

 Myrielle, comme trois des quatre hôtes qui témoignent ici, développe également une pratique artistique; elle est musicienne. Ces hôtes sont alors capables d’influer positivement sur le travail des artistes invités.  « Moi, j’ai accueilli une chanteuse, poursuit Myrielle elle-même musicienne, je fais aussi du coaching vocal, je lui ai proposé de quelques cours ; elle est revenue par la suite pour suivre un cours hebdomadaire et je l’aidais aussi pour lui proposer un regard scénique.» Le milieu artistique étant un milieu de haute concurrence dans lequel le réseau est primordial pour persévérer dans sa carrière[10] ,  l’influence de l’hôte peut devenir tout à fait positive lorsqu’ « un hôte peut faire circuler une information, un contact, une piste qui débouche sur d’autres contacts pour des projets à venir », nous dit Lou.

 La professionnalisation de l’artiste ne provient pas de son seul travail mais de l’ensemble des partenaires, rencontres, réseaux qui accompagnent le processus de l’œuvre[11]. La présence de l’hôte, citoyen amoureux des arts, connaisseur ou non, est alors un nouvel intermédiaire avec des possibilités d’influence dans la carrière de l’artiste. Mais cette nouvelle forme de résidence collaborative peut-t-elle un jour prétendre avoir la même valeur dans la carrière d’un artiste qu’une résidence institutionnalisée ?

© Elise Comte

L’artiste doit développer son réseau et sa reconnaissance

« Ce n’est pas la même chose, nous confie Camilla, dans la résidence habituelle [institutionnelle] on est souvent rémunérés. » Cette rémunération, parce qu’elle découle d’une sélection, donne de la valeur à un travail. La résidence institutionnelle est ainsi porteuse de signification dans la carrière d’un artiste. Une institution, parce qu’elle sélectionne, trie. La valeur de l’artiste sélectionné est donc rehaussée dans un contexte très concurrentiel et possède une valeur de reconnaissance dans la carrière artistique[12]. Sur Host an artist, les résidences proposées ne peuvent pas prétendre à une telle reconnaissance.

Et c’est pourtant cette question de la visibilité qui importe pour beaucoup d’artistes dans le processus de leur professionnalisation. Le milieu artistique soumis à l’incertitude du succès[13] . Pour les musiciens, plasticiens, chorégraphes, comédiens, la promotion et le suivi de leurs activités sont essentiels : « Nous devons rendre des comptes de notre travail créatif. Il faut pouvoir nous faire confiance », admet Lou. Auprès de qui ? Des professionnels de la culture : managers, éditeurs, galeries, expositions, programmateurs, curateurs, institutions…[14].

Or la plateformeHost an artist ne propose aucun suivi des résidences réalisées, ni de précision au sujet des résidences réussies, ou encore des travaux et œuvres produites et partagées. Elle souffre aussi du manque d’une animation régulière : « On aimerait bien connaître les artistes que les hôtes ont accueillis, peut-être pas des images des productions, mais au-moins un texte, une trace, poursuit Lou. Enfin, j’aurais aimé aussi trouver des témoignages d’artistes et d’hôtes ; lorsqu’on s’inscrit, on a l’impression que la plateforme est “morte” ! On tente, et on est hyper étonnés que quelqu’un réponde ! »

© Sara Krzyzaniak

S’ouvrir aux lieux culturels et aux festivals

           L’horizon de développement de Host an Artist va d’ailleurs dans ce sens : ouvrir, mettre en partage, faciliter. La plateforme entend devenir un outil utilisé par des structures culturelles ou des festivals. Cette position permettrait à des festivals de mettre en résidence leurs artistes auprès des habitants locaux et d’accroître la diffusion de l’art sur un territoire. En 2018,  la Biennale des Imaginaires Numériques de Marseille a souhaité travailler avec la plateforme. De même qu’une maison d’édition de théâtre contemporain en Ile-de-France recherche des résidences pour les écrivains qu’il défend, à condition que le mécène-hôte doit-puisse disposer des ressources suffisantes.

            Host an Artist met en partage des résidences, comme un outil proposé parmi d’autres, dans l’étendue du combat que doit mener l’artiste pour développer sa carrière, ou du moins, le développement de son expression. Pour Laurent, « l‘artiste est accueilli, non pour passer des vacances, mais dans le cadre de ses activités artistiques. Il a besoin d’être là car il a l’opportunité d’une expo et ça lui fait économiser en plus en horaire [de location] ; c’est une aide d’une certaine façon dans sa professionnalisation. »

            Aujourd’hui, avec un monde de l’art qui se polarise fortement et qui fonctionne sur le principe du star-système aux réussites très inégalitaires[15], le numérique permet aussi l’émergence d’initiatives fertiles, comme Host an Artist, proposant des solutions alternatives.

© Elise Comte

[1] Une plateforme collaborative, selon Maxime Lembrecht, permet des interactions entre plusieurs catégories d’utilisateurs en vue de l’échange ou de la mise en commun d’informations, de biens ou de services, à titre commercial ou non. LAMBRECHT M., « L’économie des plateformes collaboratives », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 2311-2312, no. 26, 2016, p.15.

[2] https://www.lemonde.fr/arts/article/2018/06/27/emmanuel-macron-met-son-nez-dans-les-residences-artistiques_5321819_1655012.html [consulté le 14 janvier 2019].

[3] https://www.lemonde.fr/culture/article/2017/11/14/les-pistes-de-reformes-envisagees-pour-la-culture_5214495_3246.html [consulté le 14 janvier 2019].

[4]DENOIT N. et DOUZOU C. (dir.), La Résidence d’artiste : enjeux et pratiques, Tours : Presses Universitaires François-Rabelais, 2016, p.24.

[5] ibid.

[6] https://www.lemonde.fr/arts/article/2018/06/27/emmanuel-macron-met-son-nez-dans-les-residences-artistiques_5321819_1655012.html  [consulté le 14 janvier 2019].

[7] Modèle de contrat de host an artist trouvé en ligne : http://www.hostanartist.com/contrathaart/hostanartist-modele-contrat-fr.pdf [consulté le 14 janvier 2019].

[8] GODBOUT T.G.N, CAILLE A., L’esprit du don, Montréal/Paris, La Découverte, 1992.

[9] LEMBRECHT N., op. cit., p. 15.

[10] LIOT F., Le métier d’artiste, L’Harmattan, Paris, 2004.

[11] ibid.

[12] THEPOT C., Le rôle des résidences dans le développement de carrière des artistes, sous la direction de AGARD J.-Y. et C. GRELLIER C., mémoire soutenu à Paris en septembre 2018.

[13] MENGER, P-M., « L’art analysé comme un travail », Idées économiques et sociales, vol. 158, no. 4, 2009, pp. 23-29.

[14] https://lecollectionneurmoderne.com/guide/la-notoriete-des-artistes-a-lere-numerique/ [consulté le 13/01/2019].

[15]  MENGER, P.-M., op. cit., pp. 23-29.

L'auteur.e

Guillaume Garnier

Le.la photographe

Elise Comte et Sara Krzyzaniak

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