Le suivi psychologique à l’épreuve de la visioconsultation

Des personnes aisées aux personnes les plus précaires, des personnes âgées aux étudiants, la pandémie du COVID 19 continue de marquer les corps et les esprits. La visioconsultation, qui s’est développée pendant le premier confinement, a permis aux thérapeutes de garder le lien avec leurs patients. Mais à quel prix?

(english) How has online consultation affected psychological treatment?

From the most affluent to the neediest, from pensioners to students, the coronavirus pandemic continues to affect our bodies and minds. The development of online consultations has meant therapists have been able to stay in touch with their patients. But at what cost?

Les psychologues et praticiens du secteur de la santé mentale ont vu leurs thérapies bousculées par le confinement et la pandémie du COVID 19, dès le mois de mars 2020. Cet enfermement soudain a affecté le moral des Français et dégradé leur état psychique. Il est devenu primordial, voire vital, de garder le lien social et psychologique entre les patients et les psychologues. Les cabinets étant fermés, ce lien s’est maintenu à distance, dans le cadre de visioconsultation. Le propos de notre enquête est de nous interroger sur les différences entre ces deux formes de consultation, et quelles en sont les conséquences.

Pour tenter d’y répondre, nous avons mené des entretiens avec 7 psychologues de la région parisienne et une patiente : Koro psychologue interculturelle ; Marine psychothérapeute ; Marielle psychologue ; David psychopraticien ; une psychanalyste et une psychologue interculturelle qui souhaitent rester anonymes ; Stéphane psychanalyste et Ambre, une patiente (prénom modifié). Ils nous éclairent sur leurs vécus de thérapeutes au cours des deux confinements, et leur rapport à leurs patients, en les anonymisant. 

Pendant cette période, ils ont été amenés à pratiquer la « télémédecine » ou « télépsychothérapie ». Dans le texte “l’utilisation de la télépsychothérapie dans le traitement des troubles anxieux”, (Marchand, Gravel Crevier, 2011)*, la télémédecine est définie comme étant “la transmission de données médicales” et la télépsychothérapie comme étant “l’évaluation et traitement psychologique” via les visioconférences (technique liant la vidéo et le son).

Le défi du maintien du lien thérapeutique

La majorité des psychologues ont abordé naturellement cette «alliance thérapeutique», qui signe la confidentialité d’une thérapie mais aussi requiert le respect et l’écoute qu’un/une thérapeute accorde à sa patientèle. L’alliance thérapeutique est définie dans le texte « Alliance thérapeutique » (Matéo, 2012)*, comme étant «un pacte avec l’ego du patient, d’un contrat psychologique entre le patient et le thérapeute». L’alliance thérapeutique se veut structurellement construite avec le temps et à force de confiance. Une cassure thérapeutique soudaine affaiblit les bienfaits d’une thérapie. Le confinement et l’isolement ont compliqué les exercices de relaxation ou de bien-être, qui permettent d’apaiser les patients et font partie intégrante de l’avancement d’une thérapie.

S’il a été bousculé pendant les confinements, le maintien du lien thérapeutique a néanmoins été plus ou moins préservé grâce à l’adaptation des psychologues à la situation de crise et surtout, par la mise en place de séances de téléconsultation. 

« Dans ma pratique, il faut arrêter les interprétations. Quand on a des questions il faut demander, se mettre à la place de mais ne pas penser pour »

Marielle

La brutalité du confinement a autant surpris les patients que les psychologues. Koro, psychologue interculturelle s’est attachée à préserver le lien thérapeutique avec ses patients en maintenant des exercices et les liens sociaux établis au préalable, pratiques très compliquées au début de l’épidémie. La psychologue interculturelle a conduit des exercices de relaxation par téléphone avec certaines de ses patientes : «Dans ma patientèle, j’ai des patientes qui font des crises d’angoisse, ça il a fallu gérer, et du coup il a fallu qu’on s’appelle, qu’on fasse des entretiens par téléphone de plus d’une heure pour essayer de les apaiser».

Les plateformes de télémédecine n’ont pas hésité à investir les réseaux sociaux également.

Il en est de même pour la psychanalyste anonyme, qui travaille à la fois dans un centre psycho-médical et dans son cabinet libéral, à Paris. Notre rencontre s’est faite le 5 novembre, quelques jours après l’annonce du second confinement par le gouvernement. Lors de notre entretien, la psychanalyste a avoué ses inquiétudes quant au bon devenir de ses thérapies avec ses patients et l’accroissement constant de la solitude dans la société française : «Il y vraiment du mal être et du malaise actuellement. Je pense, que dans beaucoup de domaines ça fait basculer vers les téléconsultations (…) les gens vont chercher des ressources via internet, je pense, et lire et s’informer et puis éventuellement consulter».

Les deux praticiennes ont noté l’intensification de troubles anxieux, amplifiés par la situation sanitaire.

Autogérer ses troubles émotionnels : Internet comme substitut de la psychothérapie

Les précédentes déclarations de Koro et de la psychanalyste anonyme, font intervenir les notions « d’individualisation » de l’usage des ressources numériques liées à la santé mentale, de l’usage des plateformes numériques et donc d’un renfermement social et mental. Beaucoup de personnes souhaitant commencer une thérapie n’ont pas pu être accompagnées dans l’immédiat par de nouveaux thérapeutes, débordés par le suivi de leurs propres patients. Elles ont alors essayé de répondre par elles-mêmes à leurs problèmes émotionnels, via Internet et les sites liés à la psychologie. Cette autogestion ayant pour but de comprendre certains problèmes psychiques et émotionnels. 

La recrudescence des téléconsultations et leur démocratisation avaient déjà été identifiées par le sociologue français Alexandre Mathieu-Fritz en 2018, dans son texte “les téléconsultations et la santé mentale” : «Ce marché en ligne émerge dans un contexte marqué par le large développement des usages d’Internet (Méadel et Akrich, 2010) et par l’avènement du paradigme de la santé mentale, qui ne se limite pas au traitement des maladies mentales comme les psychoses, mais inclut également celui de la « souffrance psychique » (Demailly, 2011a,b)».

Par quels nouveaux moyens – excluant le lien « direct » – gérer les crises d’angoisse à distance ?

Le lien entre les patients et les psychologues a donc été fragilisé, maintenu ou même renforcé selon le/la psychologue interrogé(e). Le plus important aux yeux des patients, d’après les psychologues, reste de toujours être en lien et de maintenir une communication, qu’elle soit verbale ou visuelle. 

Ce que la crise fait à la santé mentale des français

Le confinement nous “force” à nous retrouver avec nous même et les problèmes et traumatismes qu’on avait emmagasinés en nous depuis parfois des années.

Le moral des étudiants mis à mal

Le cas des plus jeunes et des étudiants est d’autant plus intéressant qu’il est un questionnement médiatique actuellement très discuté. Entre l’arrêt des cours en présentiel, des cours en visio intensifiés, la virtualisation de l’école et des cours construits pour des moments physiques, est très déconcertant. 

Avoir une résidence secondaire et pouvoir fuir Paris est perçu comme un privilège pour énormément de français. Mais dans le cas de certains étudiants, retourner chez les parents dans une situation humainement instable, est plus que dur. Mais surtout, ce retour précipité peut rappeler une infantilisation des étudiants, qui dans leurs villes étudiantes sont des adultes à part entière, indépendants. La figure parentale reste un refuge mais aussi un rappel constant de l’enfance et de l’autorité. Le psychologue en BAPU, Stéphane, qui communiquait exclusivement par téléphone pendant le confinement, explique très justement le choc psychologique que peut évoquer la coupure scolaire et sociale des étudiants : «Les étudiants ont été malmenés je pense oui, l’isolement, les conditions matérielles pour certains et puis les changements, (…) le changement de lieu de vie par exemple pour ceux qui sont retournés dans leurs familles, on pourrait penser qu’ils avaient un côté confortable, ce qui était vrai pour certains et ça faisait aussi revenir et ça remuait toute l’histoire familiale et tout ce qui en était». 

Les visioconsultations sont censées prendre le relais entre les deux partis, elles remplacent la rencontre physique : «Pour une part, en effet, le numérique amplifie ces tendances lourdes à l’isolement mais il peut aussi être interprété comme rendant plus supportables ces solitudes qui viennent d’ailleurs» – (Mathieu-Fritz, 2018)*.

Des psychologues tout aussi impactés par la télémédecine et le confinement

Les psychologues interrogés sont aussi « victimes » du confinement et du télétravail et donc de la visioconsultation. Les psychologues qui écoutent au mieux leur patientèle ont finalement bien ou peu encaissé cette transformation sociale et professionnelle obligatoire qu’implique le confinement. Derrière ces thérapeutes, il y a des familles, avec des enfants, qui étaient confinés avec leurs parents psychologues, qui continuaient leurs consultations virtuelles.

«Le déconfinement a été très difficile à titre personnel, les derniers mois ont été très difficiles», explique la deuxième psychologue anonyme. Elle évoque ici une tension famille-télétravail, que beaucoup de français ont pu ressentir.

Du confinement à une remise en question personnelle de certains patients

En dehors de l’aspect psychologique et des attendus néfastes du confinement et de la télémédecine, on peut aussi se pencher sur une explication philosophique voire anthropologique. Les multiples polémiques autour des fermetures des commerces considérés “non essentiels” comme les librairies ou cinémas, ont rappelé que l’enrichissement personnel, le monde imaginaire et inconscient permet à l’Homme d’échapper à sa réalité et aux problèmes réels. La notion de « lieux de non-lieux » théorisée par l’anthropologue et ethnologue français, Marc Augé en 1992 peut s’imbriquer. Les lieux de non-lieux sont par exemple les aéroports, les gares ou les supermarchés. Ce sont des lieux « d’échanges marchands » et ou « de service humains » où l’anonymat et la solitude priment. Ces endroits où le temps ne nous importe peu nous coupent de nos réalités. Le paradoxe ici est que le confinement que l’on connaît en 2020 nous oblige à rester chez nous. Nos maisons, nos appartements ou foyers sont censés être des lieux d’apaisement et d’habitus où nous nous sentons le plus à l’abri du dehors, de ses dangers et des autres. La perte de repères comme le temps ou l’apparition de dissonances psychiques dans nos propres foyers, fait ressurgir nos peurs et angoisses. Aspirés dans nos vies quotidiennes, attirées par l’extérieur, le confinement est violent mais aussi conscient car on se retrouve face à ce qui nous échappe au quotidien et qui pourtant nous entoure tous les jours. 

Le premier confinement a donné suite à des décisions personnelles fortes chez certains patients. Malgré la dureté d’un enfermement, le cloisonnement des corps à donner naissance à une liberté de l’esprit chez certains patients, qui y ont vu un moment opportun pour mieux se comprendre et se connaître intérieurement. Marine a connu un afflux de patients désireux de changer de vie en déménageant ou quittant leurs partenaires par exemple : «En ce qui concerne les personnes que j’accompagne, comme je vous le disais tout à l’heure c’est une très forte remise en question personnelle, qui a été la cause. Cela a permis aux gens de faire une pause».

Le cas de certaines patientes de Koro, psychologue en « psychologie interculturelle » et « ethnopsychiatrie » est aussi intéressant. La psychologie culturelle est une sous discipline de la psychologie qui «recouvre la totalité du domaine d’étude des relations entre culture et psychisme» (Guerraoui, Reveyrand-Coulon, 2013). Des patientes de la psychologue se sont senties en juin 2020, en plus du déconfinement, déconcertées face aux multiples manifestations Black Lives Matter, liées au racisme et violences policières : «C’est vrai qu’il y a plus eu un éveil de ces deux patientes dont j’ai parlé, par rapport à l’épisode George Floyd», déclare Koro. La déclaration de Koro fait intervenir la notion de «l’intersectionnalité». Théorisée par l’afro-américaine Kimberlé Williams Crenshaw en 1989, la notion d’intersectionnalité serait une accumulation de problèmes d’ordre sociologique, souvent rencontrés par des personnes issues de communautés démographiquement non majoritaires, mêlant, sexe, couleur et classe sociale. En obstruant leurs problèmes psychologiques, certaines patientes de Koro se sont senties concernées et obligées d’agir et donc de manifester pour une cause qui leur tenaient à coeur.

Les atouts de la télémédecine 

Une des interrogations principales de cette enquête était bien sûr d’observer et analyser les dites différences entre un entretien psychologique en cabinet et en visioconsultation. Au-delà de la distance psychologique qui s’est faite sentir, la rencontre physique est primordiale et joue énormément pour un suivi psychologique efficace et continuel. Ici encore, la réponse ne peut être unilatérale. Néanmoins la visioconsultation est souvent bienfaitrice. 

La visioconsultation remplit son rôle d’outil professionnel faisant le lien humain-humain

La visioconsultation reste un outil virtuel liant deux ou plusieurs individus, pour des raisons professionnelles ou personnelles. En temps de confinement, la téléconsultation s’avérait tout simplement utile sur le court terme pour mener les thérapies des psychologues interrogés, à bien. Finalement, pour certains patients, l’essentiel reste de pouvoir communiquer par n’importe quel moyen. Marielle, psychologue en banlieue parisienne proche, parle du sentiment de quiétude que pouvait procurer les visioconsultations à certains patients : «Le fait que les patients aient un espace pour parler librement je pense que ça a permis à peu de changement au contraire. J’ai l’impression que quand on est chez soi, on est dans notre espace et pour parler des choses qui nous tracassent, c’est plus facile».

Marine, psychologue avec une base d’abonnés importante sur le portail américain d’échanges de savoirs Quora, a avoué que plusieurs de ses patients ont fini par apprécier les téléconsultations. Le planning de la psychologue se trouve aujourd’hui bousculé. La téléconsultation bouleverse la vie professionnelle des psychologues, qui accordent parfois des consultations à des heures non normées : «La plupart des gens quand ils peuvent, viennent (en cabinet). Certaines personnes ont trouvé les téléconsultations plus confortables (…) 3 jours par semaine, je consulte tard le soir entre 20 et 21h». – Marine.

La communication verbale essentielle à la psychothérapie, préservée

La voix est un flux sonore d’apaisement physique et mental et prime dans une relation thérapeutique. Il s’agit d’écouter dans le sens primaire et émotionnel, entendre dans le sens sonore, interagir verbalement et comprendre la personne qui nous parle. Et capter la voix et les dires, sans rentrer dans une approche descriptive. Ces deux aspects de l’attention verbale vont de soi dans une thérapie, la patientèle vient pour être appréciée et écoutée, quand elle ne retrouve souvent pas cette attention et écoute dans son cercle proche. Les psychologues viennent capter ces paroles, les déchiffrer dans le but d’une aide empathique. De ce fait, les téléconsultations remplissent leurs rôles, en garantissant ce lien thérapeutique. 

Ambre*, la seule patiente interrogée a vécu un premier confinement, très éprouvant au début. Ambre a ressenti le distinguo visio/rencontre physique. Mais pour elle, tant que sa thérapie avait lieu de façon régulière et que le lien verbal patient/psychologue était préservé, la situation lui paraissait supportable : «Je trouve que la vidéo ça a des aspects négatifs, ça a des aspects positifs, après il y a eu une sorte de rituel, du fait d’aller dans le cabinet. C’est vrai que ça m’a un peu causé une perte de repères, qui était un peu difficile à vivre (…) je trouve que ce qui est le plus important, c’est plus la manière dont on le vit».

Les limites de la visioconsultation et de la télémédecine

La pratique des téléconsultations rappelle simplement l’adaptation de l’humain face à la technologie et la vastitude d’Internet et du web. La psychanalyse inventée par Sigmund Freud, stipule des rendez vous toutes les semaines, en cabinet et donc une rencontre physique réelle significative. Ce passage à l’écran et aux téléconsultations montre les faiblesses et avantages, mis en pratique à grande échelle. 

Remise en cause de la théâtralité d’une visioconsultation

Des repères visuels sont indispensables pour un suivi psychologique plus efficace. L’image et notre identité sont plus qu’essentiels dans l’établissement d’un suivi par écrans interposés. Face à une caméra, nous ne sommes pas naturels, nous nous efforçons de paraître plus beaux ou belles et de renvoyer le meilleur de nous mêmes, pour donner une bonne impression à nos interlocuteurs. La caméra nous pousse à surjouer notre personnalité. Parmi les psychologues interrogés, le psychothérapeute et logothérapeute parisien, anciennement cinéaste, David, émet ce problème que peuvent poser les visioconsultations quant à notre représentation physique. En effet, la visioconsultation peut fausser l’image du patient et donc celle du psychologue en face. David fait d’ailleurs appel à ce jeu de rôle social, que les individus peuvent incarner face à l’autre pour «garder la face», comme l’expliquait Erving Goffman en 1973. En plus de son rapport particulier à l’image renvoyée grâce à son bagage cinématographique, David pratique la «logothérapie», théorisée par le psychiatre autrichien Viktor Frankl, dans les années 1930. La logothérapie est une approche d’une psychologie plus philosophique presque « spirituelle », qui invite les patients à se recentrer sur leurs envies et leurs valeurs propres, donc sur eux-mêmes.

Dans ce sens, David accorde une place essentielle aux thérapies en présentiel : comment étudier et analyser une personne sans pouvoir la voir et sans connexion physique : «Je dirais que ça doit être une sorte de flux continuel, donc déjà il y a le fait que l’écran ampute une bonne partie de la relation, quand c’est interrompu c’est ce flux qui est coupé».

« On a beaucoup plus de mal à se concentrer, c’est beaucoup plus fatiguant, comme justement il n’y pas toutes les autres choses, qu’on chope quand on est avec quelqu’un, on a pas son odeur. On ne voit qu’une partie de son corps (du patient) »

PSYCHOLOGUE ANONYME

Une mauvaise image ou une vue faussée ou rompue comme dans la vraie vie, vient désaccorder notre compréhension d’une situation et donc d’une conversation. Ne pas reconnaître le patient et l’image qu’il nous renvoie à cause de la mauvaise pixellisation des écrans, peut fragiliser l’échange et donc la qualité du lien thérapeutique. En plus de la distance, s’ajoutent les inconvénients d’outils numériques peu ou pas performants.

L’impossibilité d’une rencontre physique affaiblit la thérapie

L’impossibilité de se rencontrer en vrai pour les psychologues interrogés et leurs patients, a engendré un manque de contact humain pour les uns comme pour les autres. La thérapie en cabinet est faite de coutumes et gestes propres à chaque thérapeute, des gestes et habitudes qui viennent sceller la thérapie au fil des semaines et des mois. La thérapie en présentiel reste une rencontre hebdomadaire entre deux êtres humains, qui établissent des liens personnels ou professionnels, qui durent avec le temps. Le corps et la présence physique lors d’une thérapie sont plus qu’utiles pour l’interprétation des problèmes non verbaux que le patient peut renvoyer au thérapeute. 

De la difficulté de « faire comme si ».

Stéphane est psychanalyste en BAPU (bureau d’aide psychologique universitaire) depuis 15 ans où les consultations sont gratuites. Le psychologue a essentiellement utilisé les appels téléphoniques pour mener ses thérapies à bien. Le praticien a d’ailleurs affirmé qu’il était pas à l’aise avec les téléconsultations pour des raisons de pratiques personnelles peu développées mais surtout qu’en tant que psychanalyste, l’entretien présentiel prédomine : «Je pense que c’est un travail corporel, au sens où on est assis. Quand on fait une psychanalyse, on est allongés sur un divan et l’analyste est sur son siège, dans son fauteuil. On bouge pas physiquement mais je pense que c’est un travail où il y a du corps».

Stéphane évoque ici, la notion de mobilité et de volonté personnelle dans une thérapie. Une thérapie est un acte motivé, où le patient va seul, souvent paie pour ses entretiens, afin de trouver des solutions ou réponses à ses problèmes ou traumatismes psychiques : «C’est une démarche volontaire mais une démarche active pour venir jusqu’ici, alors que depuis chez soi il n’y a pas, par définition, cet acte pour le coup de mobilisation au sens propre d’avoir à bouger qui peut se produire», déclare Stéphane.

La psychanalyste anonyme a “perdu” le lien social avec des patients psychotiques et phobiques sociaux, déjà très fragiles avant le confinement : «Il y a d’autres patients qui, je parle de patients psychiatriques, psychotiques, qui en ont profité pour se replier chez eux. Bon voilà on pouvait plus les contacter, ils répondaient pas au téléphone. Ils se sont renfermés dans un cocon chez eux. (…) Il y en a qu’on a perdus».

Quand les interactions corporelles et symboliques manquent entre le patient et le praticien, comment rentrer dans le rôle ?

Capter des mouvements faciaux ou non verbaux via des écrans reste compliqué. Ces mouvements font partie d’une communication non-verbale, qui permet souvent aux thérapeutes de trouver des problèmes sous-jacents, que les patients ne communiquent pas oralement. En dehors de ce flou des réactions émotionnelles à travers la caméra, les téléconsultations font aussi face à des interférences de connexion. Lors de la réalisation des entretiens sur Skype avec 4 des psychologues, les conversations étaient brouillées et le saut ou le manque de mots énoncés, omis par des coupures de captation du wifi, étaient plus que sensibles. La télémédecine rejoint les bons et mauvais côtés de vouloir relier les humains dans des moments de sociabilité fragilisée et qu’il faut absolument maintenir. 

L’avenir de la télémédecine 

La pratique de la télépsychothérapie en visioconférence reste nouvelle dans le paysage français. En effet, sur les 7 psychologues interrogés, seuls deux pratiquaient réellement la télépsychothérapie avant le premier confinement. 

Un accord possible entre les plateformes numériques et la psychologie en France?

Cette découverte des téléconsultations pour 5 des psychologues interrogés atteste bien une préférence pour les rendez-vous physiques. Les deux psychologues que sont Marine et la psychologue anonyme ont pour la plupart des patients dans tout le pays et dans le monde entier. La psychologue anonyme, fait des consultations en plusieurs langues (français, anglais et hindi). La thérapeute a toujours eu une patientèle internationale, avec qui elle communique grâce au site français Eutelmed, spécialisé dans la télémédecine.

Le passage aux consultations en visio, ne l’a pas troublé, même si elle atteste que cela ne reste pas pratique pour nombreux de ses patients : «Pendant le premier confinement, il y en a qui ont préféré arrêter, plutôt que de faire par vidéo, parce que ça leur convenait pas, soit parce que ça leur convenait pas d’être derrière un écran, soit parce qu’ils étaient confinés chez eux, dans un petit espace (…) et justement pas la possibilité de parler dans un endroit sans que personne écoute quoi». 

Les disparités économiques rendent l’utilisation des visioconsultations inégalitaire 

Qui dit télémédecine dit ressources matérielles et donc inégalités économiques. 

Comment assurer un suivi de qualité dans des conditions sensibles (sauts de Wifi, interférences etc…) ?

Les français ne sont pas tous égaux en termes de logement. L’aspect socio-économique de la crise sanitaire a inquiété les autorités et dans le cadre de l’enquête, les psychologues. Marielle a abordé les problèmes de disparité immobilière et domestique. Mais surtout, l’accumulation de problèmes nouveaux, venant s’ajouter à une situation familiale antérieure très fragile : «Charlyze, la réalité est que les personnes qui ont été les plus impactées c’était des familles monoparentales par exemple, qui habitent dans des très petits appartements. Se retrouver 24h/24h avec un enfant qui a des troubles du comportement, c’est difficile».

La télépsychothérapie peut être une source de confort et d’inconfort pour le thérapeute et la patientèle. Le problème de la promiscuité et de la stabilité domestique, stabilité dans le sens figuré et de sanité, entrent en jeu. De plus, la télémédecine peut aussi être un facteur de ségrégation matérielle et économique : tous les foyers et patients ne sont pas technologiquement équipés de la même façon. La télémédecine fait donc ressortir les disparités et inégalités économiques, d’un foyer à un autre : «En effet, l’inégalité des conditions de confinement incite à prendre en compte de nombreux facteurs pouvant accentuer les effets négatifs du confinement : taille du lieu de confinement, nombre de personnes confinées ensemble, accès à l’extérieur, accès à internet et aux télécommunications» – (Allé, 2020)*.


Ainsi, intervient aussi la notion de confidentialité. Une psychothérapie se fait dans un espace restreint, loin des perturbations urbaines et quotidiennes. Une psychothérapie part d’un sentiment d’extériorisation de pensées sensibles et qui invoquent des événements personnels. Si ces conversations finissent par être troublées par des acteurs humains et numériques, la télépsychothérapie ne peut qu’être en danger, ainsi que la santé mentale du patient. Les foyers ne sont pas tous équipés de la même façon selon les revenus économiques. L’espace et le confort sont des enjeux de grande importance dans le bon suivi d’une thérapie et s’ils ne sont pas au rendez-vous lors d’une télépsychothérapie, le patient tout comme le thérapeute n’en sortent que perturbés par la séance en cours.

Une différenciation de l’utilisation de la télémédecine intergénérationnelle et sexuée 

Enfin, en dehors de cette surprise que fut l’utilisation des visioconsultations autant pour les thérapeutes que pour leurs patients, les psychologues interrogés ont pratiquement tous attesté que plusieurs paramètres et/ou sinon segmentations s’ajoutent, quand il s’agit de qui les consulte. L’âge, le sexe ou encore la classe sociale, les patients des psychologues interrogés sont majoritairement jeunes (entre 20 et 30 ans), de classe moyenne (hormis le CMP) et surtout féminins. Marielle explique cette féminisation de ses patients par le biais de la socialisation genrée et stéréotypée entre les hommes et les femmes. Les hommes intérioriseraient leurs sentiments et doivent rester stoïques. À l’inverse, les femmes seraient des êtres plus sensibles, en phase avec leurs émotions : «Il y a cette question d’éducation et des rôles. L’homme ne doit pas pleurer, un homme doit être fort, il ne doit se mettre en lien avec ses émotions. Les femmes c’est « ah oui elle est sensible, c’est normal (rires)».

Les usages du web et des plateformes numériques changent et diffèrent selon les générations, tout comme les usages non virtuels de la vie quotidienne. 

Sur le plan de l’âge et du fossé intergénérationnel, les consultations des moins de 30 ans expliquent cette démocratisation du bien être mental de plus en plus démocratisé dans notre société. Marine l’expliquait en post discussion d’entretien en disant que les jeunes, entre 20 et 30 ans, ne veulent pas commencer leurs vies avec des problèmes. Marine parle de ce distinguo entre les plus jeunes et les plus âgés quand il s’agit de consulter : «quand on a 50 ans, on passe par d’autres canaux». Stéphane lui, parle plutôt d’une certaine malléabilité cognitive et intérieure caractérisant les plus jeunes, qui faciliterait ses thérapies : «Il y a une capacité de changement, de mobilisation, de souplesse psychique, chez les jeunes, qui fait que les réaménagements quand il y a eu quelque chose d’horrible, sont potentiellement plus possibles». 

CONCLUSION

Démarche photographique

Il paraissait intéressant d’explorer comment les plateformes d’e-santé effectuent leur communication en période de confinement : en effet, une grande part des visioconsultations ou de télémédecine ne seraient possibles sans un système probant de réservation en ligne. J’ai donc choisi dans un premier temps de réaliser une série d’images reprenant les codes visuels des comptes Instagram des principaux sites ayant cette fonction.

Dans un second temps, il me paraissait également d’exploiter une des difficultés que rencontrent les praticiens lors de leurs téléconsultations et qui influent grandement sur le lien établi pendant celles-ci : la façon dont leur image est réceptionnée, tant d’un point de vue de la posture, de la qualité de camera que des interférences techniques.

Les déclarations des psychologues, de leurs patients et de la patiente interrogée, ne peuvent aboutir à une réponse générale, prompte et sans nuances. La visioconsultation et la télépsychologie sont des outils numériques permettant le maintien du lien social et humain, comme peuvent l’être les réseaux sociaux. Dans ce contexte sanitaire et psycho-sociologique, la visioconsultation n’est pas infaillible face à l’isolement des patients et celui des psychologues. La visioconsultation a de bons et mauvais côtés. L’enfermement domestique reste un facteur majeur de  l’accroissement de l’anxiété ambiante. Le but de la téléconsultation n’est pas d’effacer les problèmes mentaux ou émotionnels des patients mais de ne pas faire en sorte que ces problèmes s’aggravent.

L’utilisation des plateformes numériques pendant le premier confinement, qui était nécessaire dans beaucoup de cas, vient répondre à des besoins professionnels, du côté des psychologues et personnels, du côté des patients. Si la pandémie continue de sévir en France, la télépsychothérapie va peut être bouleverser les métiers de la psychologie et de la psychiatrie sur le long terme. La pandémie du COVID 19 a peut être quelque part pousser l’humain à s’approprier des outils technologiques, dans une situation dépassant certes le cadre du confort et d’une utilisation ponctuelle des écrans. Cette adoption des télépsychothérapies est à la fois un marqueur d’une société française en clin à s’informatiser mais aussi d’une individualisation de l’utilisation des outils numériques et peut-être d’une perte du lien social. Une société où des patients privilégient l’écran à la rencontre nous pousse à nous repenser en tant qu’humains face aux nouvelles technologies et à leurs poids non négligeable sur nos vies. Au final, l’écran et les plateformes numériques isolent tout comme ils rassemblent, même dans des conditions parfois peu optimales. Reste à savoir ce que l’Humain tire de ces rencontres.

1. Allé, Mélissa C, et al. « Le confinement peut-il favoriser l’émergence de symptômes traumatiques ou psychotiques ? », Revue de neuropsychologie, vol. volume 12, no. 2, 2020, pp. 196-203.

2. Allaert, F. A, et C. Quantin. « Les applications sur smartphones permettront-elles une généralisation de la télémédecine ? », Journal de gestion et d’économie médicales, vol. vol. 36, no. 2-3, 2018, pp. 145-151.

3. Mathieu-Fritz, Alexandre. « Les téléconsultations en santé mentale. Ou comment établir la relation psychothérapeutique à distance », Réseaux, vol. 207, no. 1, 2018, pp. 123-164.

4. Marchand, André, et Myra Gravel Crevier. « L’utilisation de la télépsychothérapie dans le traitement des troubles anxieux », Perspectives Psy, vol. vol. 50, no. 3, 2011, pp. 212-219.

5. Marc Augé, Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, coll. «?La Librairie du xxe siècle?», 1992.

6.Guerraoui, Zohra, et Odile Reveyrand-Coulon. « La méthodologie en psychologie interculturelle », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, vol. numéro 99-100, no. 3-4, 2013, pp. 291-294.

7. Mateo, Marie-Claude. « Alliance thérapeutique », Monique Formarier éd., Les concepts en sciences infirmières. 2ème édition. Association de Recherche en Soins Infirmiers, 2012, pp. 64-66.

 

 

L'auteur.e

Étudiante en M2 des plateformes numériques, création et innovation, j'ai une licence en anthropologie et un M1 en arts et communication. Très intéressée par les faits sociaux, les cultures alternatives du cinéma à la musique, je me destine à travailler dans la presse culturelle. Cette enquête part d'un questionnement personnel. La santé mentale et le virtuel n'ont fait qu'une paire pendant le premier confinement et il allait de soi de retranscrire cette appréhension humaine de de la visioconsultation sur les plans du bien-être et psychique.

Le.la photographe

Élève en M2 de Photographie à l'ENS Louis-Lumière, je pratique principalement la photographie documentaire et m'intéresse tout spécifiquement aux problématiques sociales dans mes travaux. Le sujet de la santé mentale m'a séduite car il touche particulièrement les étudiants en cette période de coronavirus.

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