Le numérique public aux Courtillières : un accès fait de distances

Dans le quartier des Courtillières à Pantin, coupé de son centre ville, l’accès pour les habitants à un espace public numérique (EPN) est compliqué. A l’heure où de plus en plus de démarches passent par les outils numériques, les usagers manquent d’un espace à proximité en accès libre où demander conseil. Et attendent l’ouverture annoncée d’un nouvel espace informatique.

Il y a déjà plus de huit ans, la Maison de quartier des Courtillières a perdu son espace informatique et son médiateur spécialisé qui faisait de ce lieu un EPN (Espace Public Numérique). Parallèlement aux suppressions de postes qu’engendrent les économies budgétaires, l’Etat a entrepris une dématérialisation généralisée des démarches, qui pour une part non négligeable, ne se font désormais qu’en ligne.

Des changement qui prennent une autre dimension dans la cité des Courtillières, où la Maison de quartier est le seul bâtiment public, hormis les écoles, le centre médico-social et les gymnases. Cet établissement regroupe à lui seul une mairie-annexe, un centre CAF (Caisse d’Allocations Familiales), un espace du service municipal de la jeunesse (SMJ), une bibliothèque intercommunale. Des associations y ont également leurs locaux. Cela à son importance, puisqu’en effet, la spécificité de ce quartier est d’être coupé de son centre par le Fort d’Aubervilliers et le cimetière parisien de Pantin-Bobigny. Ainsi, pour se rendre en mairie ou dans le reste de la ville, les habitants des Courtillières doivent passer par Bobigny ou Aubervilliers.

La distance entre certains services généralement alloués aux administrés d’une ville et le lieu de vie des habitants des Courtillières peut donc très vite s’allonger. On comprend de ce fait le nombre de services regroupés dans la Maison de quartier. Toutefois, en ces temps d’économies et de coupes budgétaires impulsées par l’Etat et répercutées par les collectivités territoriales et donc par les communes, les services font l’objet de choix prioritaire de la part des villes. C’est le cas à Pantin et en particulier dans ce quartier.

Des seniors aux jeunes : divers publics concernés 

Ce lieu central qu’est la Maison de quartier doit donc répondre aux demandes des habitants des Courtillières sans un espace numérique, ni personnels dédiés spécifiquement aux démarches en ligne.

Des publics très divers sont concernés par cette situation. Tout d’abord les personnes âgés qui pâtissent de la numérisation et du manque d’accompagnement vers les outils numériques et qui se retrouvent dans l’incapacité d’effectuer les démarches administratives les plus essentielles (avis d’impositions, demande d’allocations, démarches liées aux pensions de retraites et/ou autres…). Certains publics comme les primo-arrivants ou les personnes ne maîtrisant pas bien le français ont également besoin d’aide dans leurs démarches. Pour accompagner les personnes à gérer ces différentes formalités, la Maison de quartier dispose d’un écrivain public qui reçoit sur rendez-vous trois fois par semaine et propose également des cours d’alphabétisation, qui sont eux dispensés par des associations.

Cette problématique liée aux démarches en lien avec l’informatique ne touche pas uniquement les seniors où les nouveaux arrivants sur le territoire français. Elle concerne également les jeunes en recherche d’un emploi ou d’un stage. Un espace et un médiateur numérique seraient utiles pour les recherches de travail qui peuvent se faire en ligne, la rédaction d’une lettre de motivation et l’élaboration d’un CV. Des demandes qui sont régulièrement faites au personnel de la Maison de quartier. L’établissement ne disposant pas de poste, ni d’espace dédiés à cette tâche, le personnel se voit dans l’obligation d’orienter les jeunes vers le centre-ville, soit à la Maison de l’emploi, soit vers le LAB’ qui est l’espace municipal dédié aux jeunes de 16 à 25 ans.

Des actions qui tentent de compenser le manque d’espace numérique

Les employés de la Maison de quartier tentent toutefois de permettre à certains habitants d’avoir accès aux outils numériques. Lesquels sont par ailleurs de plus en plus nécessaires dans la scolarité des élèves, comme nous l’explique la directrice de la Maison de quartier, Lise Pastor : « A partir du collège, les enseignants demandent de plus en plus des documents tapés, donc comment on fait pour accompagner les familles qui n’ont pas les moyens d’acheter un ordinateur ? Ou qui ont un ordinateur mais pas forcément d’imprimante puisque le numérique, c’est plusieurs outils.« 

C’est ainsi qu’une photocopieuse a été installée en accès libre dans le hall de l’établissement ou qu’une vente d’ordinateurs à des prix très accessibles a été organisée, comme nous l’a appris la directrice de la Maison de quartier : « L’année dernière, on a travaillé avec la Maison de l’emploi et une association. Ensemble, nous avons vendu des ordinateurs reconditionnés à prix social. On a donc sélectionné des familles et on leur a vendu des ordinateurs de très bonne qualité aux alentours de 50 euros.« 

Des activités sont également proposées en lien avec le numérique avec le SMJ qui, jusqu’à l’année dernière, organisait des ateliers de MAO (Musique assistée par ordinateur), permettait l’accès à des studios de musique et la réalisation de vidéoclip. Les Engraineurs, une association présente dans le quartier depuis vingt ans, met également en place des ateliers de réalisation de films documentaires ou de fictions, ou d’animations pour tous les publics. Ces différents ateliers permettent donc de mieux appréhender et utiliser les outils numériques, même si Nadège Ammouche, coordinatrice chez les Engraineurs, nous confie que les jeunes viennent en maîtrisant déjà certains aspects de la réalisation et du montage à travers les multiples applications que l’on trouve sur les smartphones.

À quand un nouvel espace numérique ?

Au-delà des facilitations en terme d’accès aux outils numérique et des activités proposées dans la Maison de quartier, la question d’un espace informatique reste prégnante. D’après Lise Pastor, “c’est toujours en projet, bien que ce soit acté sur le papier par ma hiérarchie” car la question qui se pose désormais est aussi celle de l’espace où cette salle informatique pourra exister. Le quartier des Courtillières a connu une très grande transformation dans le cadre de l’ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine) qui s’est achevée cette année, avec l’inauguration du parc situé au coeur du “Serpentin”. Ce bâtiment des Courtillières, dessiné par l’architecte Emile Aillaud, fait plus d’un kilomètre de long et présente quelques ouvertures. Dans le cadre de cette transformation du quartier, un nouvel établissement culturel devrait ouvrir à l’horizon 2020 et disposera d’une salle de spectacle, d’une ludothèque. Une bibliothèque est également prévue, pour remplacer celle qui se trouve actuellement dans la Maison de quartier. Laquelle verra tout un étage se libérer et pourra accueillir ce fameux espace informatique. C’est en tout cas le souhait de l’actuelle directrice du lieu qui nous l’a confirmé : “L’opportunité qu’on a avec le nouvel équipement culturel, c’est qu’on va avoir 200 m2 qui vont se libérer au deuxième étage, donc on va pouvoir repenser l’organisation de la structure et trouver un espace pour ce lieu informatique.« 

Un accès qui reste inégal selon les territoires

La difficulté n’est pas seulement due à l’accès aux outils informatiques mais aussi à la formation ou tout du moins à l’accompagnement et au conseil dans la maîtrise de certains outils pour une partie des publics de la Maison de quartier. C’est ce que souligne Eric Guichard, philosophe et anthropologue de l’internet, en critiquant “le mythe de la fracture numérique”, qui n’a pas de pertinence scientifique, selon lui. Il insiste sur le fait que ce n’est pas tant l’accès aux machines ou à des capacités particulières des ordinateurs qui sont en jeu mais bien la maîtrise et la compréhension des outils numériques : « Face aux ordinateurs, nous sommes plus souvent désespérés par notre incapacité que par la lenteur de nos machines. Parfois, cette incapacité résulte d’une absence de savoir faire : nous la ressentons fréquemment si nous sommes en contact avec des professionnels de l’informatique. D’autres fois, elle est causée par les machines et les logiciels ; régulièrement, l’expérience nous rappelle que nos frustrations ne sont ni liées à nos processeurs, ni au débit, mais à notre difficulté de s’adapter à la simplicité inintelligente des algorithmes et des ordinateurs. »

Démarche photographique

Mon travail photographique récent s’articule essentiellement autour de l’étude de typologies, que ce soit à travers la botanique et les techniques de tirages contacts qui lui sont associées, à l’exemple du cyanotype, que j’applique aussi à des objets du quotidient (vêtements, vaisselle, déchets…) dans un souci d’équilibre entre esthétisme et fidélité de la description.

Pour cette série il était important de restranscrire l’enclavement auquel est sujet le territoire tout en mettant en forme sa particularité. Le visionnage se construit donc en dyptique, à l’image de l’immeuble serré dans son cadre qui fait face à l’accumulation des caddies, symboles de l’éloignement des commerces, ou bien de l’arbre seul au milieu du parc qui répond à cette femme dans le hall de la maison de quartier. La séance de prise de vue a été réalisée un jour creux où le public était absent, et il n’est pas à conclure de ses images que l’espace est sans vie, bien au contraire il concentre à bien des égards l’énergie du quartier.

Il ne s’agit donc pas d’adapter des « services spéciaux » ou « particuliers » pour ce quartier qui est classé « quartier prioritaire politique de la ville » mais de donner accès à des services qui existent dans la plupart des territoires urbanisés. Comme le souligne Yasmine Siblot, les analyses qui découlent de certaines institutions publiques participent à construire une représentation de ces territoires et ces habitants vus comme différents : « Les diagnostics suscités et diffusés par ces institutions contribuent par leur forme même à conforter la thèse de la nécessité de « services spécifiques » pour des populations « à part ».» Le sujet n’est pas « d’adapter » mais de donner une même qualité de services publics sur tous les territoires alors qu’un récent rapport du parlement confirme que la Seine-Saint-Denis est moins bien dotée, en terme de services publics, que les autres départements, malgré les politiques publiques « spécifiques ».

Tout l’enjeu pour les habitants des Courtillières repose sur l’accès facilité à un espace informatique, alors que le numérique est de plus en plus présenté comme une « solution » pour les grands ensembles, notamment par le secrétariat d’Etat chargé du numérique à travers « La grande école du numérique ». Projet dont l’un des publics cibles est la population des quartiers prioritaires politiques de la ville.

1. Eric Guichard, « Le mythe de la fracture numérique » [En ligne]http://barthes.enssib.fr/articles/Guichard-mythe-fracture-num.pdf

2. Yasmine Siblot, «  « Adapter » les services publics aux habitants des « quartiers difficiles ». Diagnostics misérabilistes et réformes libérales », in Actes de la recherche en sciences sociales, n°159, Paris, Le Seuil, 2005, p. 72.

L'auteur.e

Chabanne Terchi

Le.la photographe

Louis Dewynter

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