Influenceuses : un corps support de messages publicitaires

Sur le réseau social de partage de photos et de vidéos Instagram, certaines femmes sont suivies par des millions de personnes, elles partagent un contenu qui suscite l’intérêt de leurs followers: il se manifeste par des likes et des commentaires où elle se crédibilisent dans leur champ d’activité principale. De ce fait, les marques font de plus en plus appel à elles pour faire la promotion de leurs produits et services. Par leurs corps, elles représentent un outil de recommandation.   

Focus sur ces modèles et leur singularité.

NGUYEN Jules, « Fabrique-moi un visage », serie des Influenceuses, 2019. Photocollage numérique.

Instagrameuses, une tendance marketing incontournable pour les marques.

Les influenceuses Instagram ou Instagrameuses mode & beauté séduisent des communautés de fans, qui les suivent et accordent de l’intérêt et de la confiance dans leurs propos. Avec des photos et des vidéos elles mettent en valeur les produits des marques, parfois implicitement.

Égéries de grandes marques, idoles des jeunes filles, entrepreneuses à succès. Elles enchaînent les partenariats juteux et les collaborations de création de produits. Elles mettent leur créativité au service du contenu de marque. En quelques années elles se sont imposées sur les réseaux sociaux d’abord comme porte-parole des consommateurs puis comme de vrais canaux publicitaires que les marques intègrent au cœur de leurs stratégies marketing.

En effet, une étude menée par l’agence de marketing d’influence Reech dévoile que 63,2%[1] des influenceurs ont reçu plus de demandes de partenariats sur 2018 et que les thématiques les plus recherchées sont le lifestyle, la mode et la beauté !

NGUYEN Jules, « Encadrées », serie des Influenceuses, 2019. Photocollage numérique.

Des Passions ordinaires à monétiser !

« J’adore la mode depuis très longtemps, les vêtements fashion, etc. J’ai donc voulu partager ma passion pour la mode sur les réseaux sociaux, partager mes looks de tous les jours et donner des conseils aux personnes qui me suivent. »

Nous confie Marie (nom d’emprunt), jeune influenceuse qui partage ses looks ou ses OOTD l’initiale de « Outfit Of The Day », une catégorie de publications sociales (vidéo YouTube, photo Instagram, etc.) par laquelle les influenceuses mode & beauté présentent chaque jour leurs tenues vestimentaires[2].

Doctorante en biologie, la jeune femme compte plus de 17k  abonnés sur Instagram, des photos esthétiques, des vêtements de luxe, et un look de modèle. Marie réussi à engager sa communauté qui interagit avec elle, lui demande des conseils et lui manifeste tout son soutien et son amour par des likes et des commentaires. De quoi ravir l’Instagrameuse, qui après avoir atteint les 5000 abonnés s’est mise au contenu vidéo sur YouTube afin de partager encore plus de contenu et monétiser son activité.

Patrice Flichy, professeur en sociologie à l’université de Paris Est-Marne-la-Vallée, explique que : « L’amateur élit tout d’abord son domaine d’activité, définit librement un projet individuel et agit pour le plaisir, en fonction  de ses passions et ce qui compte pour lui. Il développe peu à peu une expertise-expérience qui lui procure du plaisir. »

L’activité des amateurs comme les influenceurs du Web 2.0 dépend de leur choix. Les influenceuses par exemple, sont guidées par la curiosité, la passion et l’attachement à des pratiques qu’elles aiment partager avec leurs communautés. 

Et à cause de cet enchevêtrement entre travail et loisir les sciences sociales cherchent à fournir des définitions originales de ces activités mixtes pour décrire cette nouvelle forme de travail, comme weisure (work + leisure), proposé par le sociologue américain Dalton Conley[4] ou encore playbour ( play + labour), qui soulignent la place importante que prend la passion dans les activités numériques des amateurs.

« Je parlais beaucoup des marques sur mes comptes et je réussissais à avoir des collaborations et donc je voulais aussi monétiser mon activité sur les réseaux sociaux ! »

Si pour Marie il était évident de monétiser son activité sur les plateformes sociales, après s’être investie dans la création de contenu de marque, l’activité payante des influenceuses n’est toujours pas très bien comprise par le grand public.

Photographe, vidéaste, mannequin, sur ses créations Instagram la jeune influenceuse ne laisse pas le moindre doute quant au caractère amateur de son contenu ! Et pour cause, elle n’a jamais suivi de formations techniques dans ces métiers créatifs.

Astuce d’Instagrameuse : « Pour avoir des collaborations, les Instagrameurs regardent souvent le feed des marques avec qui ils souhaitent collaborer. Si la marque a un feed avec des tons rosés par exemple, tu as plus de chance d’être reposté ou collaborer quand tu t’alignes sur le feed de la marque, sa façon de prendre en photos ses produits, etc. » nous explique-t-elle sur ses inspirations.

Les Instagrameuses suivent donc les tendances des marques pour créer du contenu « de qualité » et susciter l’intérêt de ses dernières. Mais pas que ! Pour être repérées elles n’hésitent pas à utiliser les fonctionnalités du réseau social Instagram et les fameux #Hashtag #ootd #lookdujour #fashion #look… ces mots clés que l’on retrouve régulièrement accolés à leurs jolies photos. Ils permettent aux marques d’identifier ces fashionistas pour d’éventuelles collaborations et de la création de contenu populairement appelé « brand content » souvent co-composé avec les influenceuses.

NGUYEN Jules, « Matière à penser », série des Influenceuses, 2019. Photocollage numérique.

Créativité sous directives !

Les marques se retrouvent donc dans l’obligation de comprendre les pratiques des influenceuses afin de composer avec elles. Et qui dit co-création de contenu dit directives ! Dès lors la question de liberté de création se pose.

Les Instagrameuses sont souvent invitées à réfléchir à un contenu qui puisse véhiculer le message que la marque souhaite faire passer tout en gardant leur style, c’est-à-dire les codes couleurs de leurs feed Instagram ou encore le ton humoristique d’une vidéo ou d’une caption (légende).  Les influenceuses sont payées par la marque pour une création artistique qui reflète leurs univers, mais qui a tout de même un but commercial.

Dans le cas de Marie, comme pour beaucoup d’Instagrameuses, une agence de marketing d’influence gère ses relations avec les marques. L’instagrameuse nous confie qu’après s’être fait connaitre sur le Web, une agence de marketing d’influence l’a approchée. Ses créations sont parfois créées par elle-même, sinon par un photographe ou vidéaste de l’agence.

« L’agence d’influence avec qui je travaille me donne des directives »

Les agence de marketing et de communications composent avec ces créatrices de contenu mais le travail nécessite une hiérarchie. Dans le cas de Marie être sous directives n’est pas un problème, du moment qu’elle conserve sa liberté pour le contenu.

« Pour les captions (wordings) aussi. J’ai parfois des marques qui me demandent de dire tel ou tel mot, et moi je leur écris la caption en intégrant ces mots, parfois j’ai la libeté de m’exprimer comme je veux ça dépend vraiment de la marque avec qui tu collabores. »

Pour Vincent (nom d’emprunt) directeur créatif dans une agence de communication, la liberté de création est relative à la marque. Certaines influenceuses créent du contenu pour la marque sous ses directives, d’autre co-créent avec elle, tandis que les plus connues apparaissent sur les créations comme des mannequins.

Le directeur créatif nous explique que les micros-influenceurs (de 10 000 à 100 000 abonnés)[5] sont souvent ceux qui subissent les directives de création de contenu. Quant aux influenceurs stars et macro-influenceurs (entre 100 000 et 1 000 000 d’abonnés)[6], les agences font confiance en ces créateurs de contenu digital, devenus célèbres. Cette légitimité leur vaut même des collaborations de co-création de contenu pour les campagnes de grosses marques.

NGUYEN Jules, « Corps porteur », serie des Influenceuses, 2019. Photocollage numérique.

Les influenceuses, ou comment mettre de l’humain dans un message publicitaire !

Bref, nous l’aurons compris, il s’agit de relations de presse réinventées et adaptées aux médias sociaux et aux nouvelles plateformes populaires. Les influenceuses illustrent la volonté des marques d’investir des espaces publicitaires où elles n’auraient pas vocation d’être, en l’occurrence les réseaux sociaux, ou plutôt, où elles ne veulent pas toujours apparaître dans des espaces publicitaires en tant que tels.

La délégation de parole aux influenceuses est assimilée à une activité communicationnelle « soft ». Cette mise en place de procédés dialogiques a contribué à la montée de la croyance en des marques plus appréciées de leurs publics. Les influenceuses sont censées incarner un nouvel équilibre de la relation entre marques et consommateurs. 

« Lorsqu’il s’agit d’une campagne d’influence la personne apparait, c’est elle qui porte le message ».

L’hybridation de la communication est traversée par la valorisation du corps et la discrétion du message publicitaire.  Faut-il qualifier ce masquage de tromperie ?

Selon Caroline Marti De Montety Professeure des universités en sciences de l’information et de la communication au Celsa-Sorbonne Université, ce qui permet d’estomper la charge publicitaire sur ces plateformes sociales, ce sont deux facteurs importants[7] .

Tout d’abord le message ne se livre pas comme message publicitaire, il se détourne lui-même de sa vocation en ne se désignant pas comme tel. Dans le cas des influenceuses, le corps endosse toute une partie du discours publicitaire.

Ensuite dans l’espace public, il n’est pas qualifié comme publicitaire. Sa qualification est donc associée à une reconnaissance, tellement forte qu’elle est établie par ces médiatrices.

NGUYEN Jules, « Le Monstre-chaussures », série des Influenceuses, 2019. Photocollage numérique.

Uniformisation et conformisme !

L’incarnation des composants de la marque par les influenceuses se traduit par des mises en scène du corps seul, et parfois avec le produit. Le potentiel sémiotique est élevé. Humanité, transparence et information sont livrés par une pose et quelques mots.

Mais en regardant de plus près, une sensation de déjà vu s’empare de nous. Les influenceuses prennent peut-être toutes les mêmes photos !

Dans la section beauté, la pose posture agrenouillée plus connue sous le nom de la #BambiPose, ou encore la #HotSquat inspirée de la culture Hip Hop, ont envahi nos fils d’actualité ! Les clichés tendent à se répéter et finalement ces positions disent beaucoup sur le brand content ou contenu de marque.

En effet ces poses si populaires servent bel et bien à présenter des produits de marques. Il en ressort que l’extension des signes visuels de la marque se manifeste par ces poses bien connues du public et font du message un discours de marque publicitaire.

En demandant à Marie son avis sur ce conformisme des poses, elle nous explique:

« C’est une façon qui démarque les influenceurs ! c’est des poses qui permettent de casser le feed et le dynamiser. On reconnait vite que c’est un compte influenceur ! ».

Démarche photographique

Travailler sur les images des influenceurs.ceuses, c’est faire face à un flux incessant. A mes yeux, il ne pouvait alors pas être question d’en réaliser plus. Leurs images pouvaient être une matière pour montrer au-delà de l’effet de réel qu’elles produisent. Car si certain.e.s influenceurs.ceuses s’efforcent d’avoir une démarche « éthique », une grande partie des productions a un caractère mystifiant.
Il m’est alors venue l’idée de réaliser des photocollages, forme très en vogue actuellement dans les domaines de la mode et du graphisme, mais qui, dans la première moitié du XXe siècle, avec les mouvements surréalistes et Dada, était utilisée à des fins de critiques du capitalisme, de l’impérialisme et, déjà, de la place du corps de la femme dans la publicité

Adoptée par quasiment toutes les influenceuses, ces clichés convoquent des imaginaires communicationnels et norment le contenu de marque créé par les influenceuses. Dès lors se manifeste la volonté des marques d’édicter des normes sur des plateformes destinées à première vue au partage de passions, de soi et de la liberté d’expression. Comme elle nous le confie sur un ton moqueur,

« A l’exception de quelques marques, on ne voit toujours que du 36 sur les photos, même si on se dit que les marques ont pris conscience qu’il faut diversifier. ».

Selon Elisabeth Eglem, maîtresse de conférences à l’université du Havre : « les évolutions de la consommation relayées par les réseaux sociaux diffusent différentes tendances esthétiques et valeurs dans lesquelles les individus cherchent à s’insérer, par goût ou pour faire partie d’un groupe considéré attractif» . Les types d’esthétique du corps sont « standardisés », ils suivent des directives prédéfinies par les marques ou les agences de publicité. L’observation que réalise la maîtresse de conférences sur Instagram la mène à distinguer différents types d’esthétique, en relation avec des pratiques et des discours. Leur identification permet à ceux qui les suivent de se reconnaître et de renforcer leur sentiment de sympathie ou d’appartenance.

Dans notre cas, les différentes poses photographiques du corps des instagrameuses permettent clairement de les catégoriser et de faciliter leur reconnaissance. Les influenceuses mettent en valeur leurs corps ou des parties du corps de manière identique. Ces représentations du corps contribuent à les inscrire dans un univers publicitaire spécifique. Un moteur de recommandation par le corps, dans une double logique d’exposition de soi et de la marque, au prix de l’acceptation des directives des marques et des poses « influenceurs ».

Comptes instagram de : @annecharlottegfy @coline @myriamwardrobe @noholita @sananas2106 @thedollbeauty

[3] FLICHY Patrice, Le sacre de amateur, Paris, Seuil, p 12.

[4] CARDON, Dominique, CASILLI, Antonio, Qu’est-ce que le Digital Labor ? Ina éditions, p28.

[7] PATRIN-LECLERE, Valérie, MARTI DE MONTETY, Caroline, BERTHELOT-GUIET, Karine, La fin de la publicité : tours et contours de la dépublicitarisation, Lormont, Le bord de l’eau, 2014.

L'auteur.e

Ilhem Fettous
Après l’obtention d’un diplôme de master 2 professionnel en communication et technologies numériques au CELSA Sorbonne Université et un mémoire sur la professionnalisation des influenceurs, elle intègre le master industries culturelles et créatives- plateformes numériques, de l’Université Paris 8 pour approfondir sa connaissance théorique des médias numériques. Elles s’intéresse particulièrement à l’émergence de nouveaux métiers dans le marketing d’influence.

Le.la photographe

Photographe originaire de région parisienne, sa sensibilité au théâtre, issue de son contexte familial, l’amène à questionner les notions d’identité et d’artificialité dans la représentation de l’individu par le médium photographique. Il s’intéresse également à la réappropriation et à l’impact des images à une époque où leur flux est incessant.

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