L’association Emmaüs Connect s’engage à apporter un soutien aux personnes éloignées du numérique en les accompagnant à la prise en main aux outils informatiques. Dans cette enquête, nous nous intéressons aux solutions humaines et techniques proposées par Emmaüs Connect afin de répondre aux besoins de ces apprenants.
“On veut envoyer des lettres !”, “Envoyer les courriers !” bondit une femme de cinquante ans devant un ordinateur portable. Nous sommes dans les bureaux d’Emmaüs Connect à Saint-Denis. Ils sont douze à participer à la première séance de l’atelier d’initiation « Premiers par sur l’ordinateur ». Cet atelier s’articule autour de plusieurs séances dont les thèmes sont consacrés aux compétences numériques : « Découvrir mon ordinateur, utiliser la souris », « Utiliser le clavier » ou « Me repérer sur le bureau Windows ».
L’inclusion numérique pour s’insérer en société
Depuis 2013, l’association propose des formations pour favoriser l’inclusion numérique des personnes qui en sont les plus éloignés. Emmaüs Connect, c’est également des offres d’accès « solidaire à l’équipement et à la connexion et médiation avec les opérateurs téléphoniques ». Aujourd’hui, leur réseau s’étend dans neuf villes : Antony, Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Paris et Saint-Étienne.
La problématique de l’inclusion numérique représente actuellement une question centrale pour l’État, dans un contexte de dématérialisation des services administratifs à grande échelle. D’ici à 2022, toutes les démarches administratives seront dématérialisées. Le plan numérique du gouvernement vise in fine à faire des économies pour les finances publiques. C’est dans cette optique que les espaces de solidarité numérique d’Emmaüs Connect préparent les personnes les plus isolées à s’insérer dans la société numérique.
Et ils sont nombreux dans ce cas. Environ 14 millions de Français seraient éloignés du numérique selon un rapport de France Stratégie [1] de juillet 2018. Parmi ces « Français, 6,7 millions ne se connectent jamais et 7 millions d’internautes disposent d’un faible niveau de compétences numériques et se sentent mal à l’aise dans leur utilisation d’Internet ».
Secrétariat d’Etat au Numérique, Pour une France connectée, 2018,
précise Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, en charge du numérique.
Pour comprendre la problématique, il est intéressant de se pencher sur les résultats du rapport Capacity [2] 2017 sur les usages numériques des Français, qui propose quatre catégories d’usagers :
- Les hyperconnectés (31 % des internautes)
- Les « utilitaristes » du numérique (38% des internautes)
- Les internautes « traditionnels » (17 % des internautes)
- Les « distants » (14 % des internautes)
Parmi ces usagers, ce sont les internautes « distants » qui préoccupent l’État, reste encore ceux qui n’y ont pas accès. Ils ont peu de compétences au numérique « ils déclarent savoir faire beaucoup moins de tâches sur Internet que les autres internautes et ne se sentent pas à l’aise dans leur usage d’Internet. ».
Faire des courriers à la CAF, à Pôle emploi
Ce sont ces internautes distants que l’on retrouve au sein du groupe formé par Emmaüs Connect. Sur les douze participants , près de la moitié avait plus de 50 ans, le reste du groupe entre 30 et 35 ans. Une femme explique avoir quitté l’Algérie il y a quelques temps. Pas d’ordinateur là-bas, mais en France :
« c’est autre chose. On a besoin d’utiliser l’ordinateur pour les demandes d’emplois. »
A la recherche d’un emploi, en situation précaire, vivant dans des centres d’hébergement, telles sont les situations vécues par les participants présents ce jour-là.
Comprendre l’usage d’une souris
« Leur priorité, en général c’est faire des courriers, faire des démarches du genre la CAF et Pôle Emploi” ,affirme Houda B., en service civique à Emmaüs Connect depuis août 2018.
La plupart des participants possède un ordinateur chez eux mais tous ne savent pas l’utiliser. Car si les inégalités d’accès aux TIC se réduisent, les inégalités liées à l’usage augmentent. Sur la table, de nombreux smartphones sont posés. Evelyne.D, 48 ans, vit à Aubervilliers. Elle est cuisinière en cantine scolaire. Elle fait partie des internautes « distants ». Lorsque nous lui demandons si elle utilise son ordinateur chez elle, elle répond :
“J’en ai besoin, mais j’ai peur de toucher. »
Et pourquoi vous avez peur de toucher ?
« Parce que je ne connais pas.”
Evelyne D. explique qu’elle se forme au numérique pour les besoins de son travail et ses démarches administratives.
Les exercices débutent quinze minutes après le début de la formation. Nous sommes sollicitées par la directrice pour aider les apprenants. Apprendre à utiliser une souris, savoir à quoi sert le clic droit et gauche de la souris, comprendre comment utiliser la molette de la souris : voici les activités auxquelles nous avons participé.
Réduire le retard de ces compétences instrumentales s’effectue par un accompagnement humain et des plateformes adaptées. La plateforme pédagogique Les Bons Clics (lancée par Emmaüs Connect via sa start-up We Take Care) est utilisée durant ces formations. Ce site web accompagne les apprenants à la formation bureautique et internet, propose des exercices interactifs ainsi que des fiches résumé.
Un apprentissage en trois étapes
“Les personnes pensent que quand elles viennent ici, elles vont directement chercher un emploi alors qu’il faut d’abord un processus et apprendre à utiliser l’ordinateur. Elles sont pressées. Par exemple là, il y a une femme qui m’a demandé comment on transfère les photos d’un téléphone à un ordinateur, il faut d’abord apprendre à faire certaines choses avant de commencer à faire ça.” Houda B.
Plusieurs niveaux de compétences que cherchent à développer Emmaüs Connect sont mentionnées par Périne Brotcorne et Gérald Valenduc dans «Les compétences numériques et les inégalités dans les usages d’internet »Périne Brotcorne,Gérald Valenduc, Les compétences numériques et les inégalités dans les usages d’internet, 2009, https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-numerique-2009-1-page-45.htm. Ils distinguent plusieurs compétences nécessaires aux apprenants :
- Les compétences instrumentales consistent à comprendre le fonctionnement de l’ordinateur, le bureau, ou la souris et les bases de l’internet, ceux que les formations d’Emmaüs Connect réalisent de manière ludique.
- Les compétences informationnelles permettent de traiter l’information. Les permanences connectées mises en place par Emmaüs Connect depuis avril 2015 permettent aux personnes d’améliorer leur compétence et leur autonomie les démarches administratives. La formation « Premiers pas sur l’ordinateur » à elle seule ne garantit ces compétences, comme le dit Houda B. Il est impératif pour ces personnes d’assister aux permanences connectées.
- Les compétences stratégiques désigne “l’aptitude à utiliser l’information de manière proactive, à lui donner du sens dans son propre cadre de vie et à prendre des décisions en vue d’agir sur son environnement professionnel et personnel.”
Les compétences stratégiques sont difficiles à mettre en place aux apprenants sans l’appropriation des compétences précédentes. La combinaison de ces deux premières compétences est essentielle pour pouvoir améliorer son environnement professionnel.
Notre observation des actions d’Emmaüs Connect montre la nécessité de formations adaptées aux lacunes de chacun qui rendent d’autant plus déterminants les besoins de l’association en personnel.