Écologie 2.0 : faire converger le numérique et la défense environnementale

Aujourd’hui,  la révolution environnementale peut être lancée depuis votre ordinateur. Les organisations écologistes utilisent tous les outils dont elles disposent, car elles constituent une alternative efficace. Cependant, force est de constater que l’utilisation des outils numériques laisse une importante empreinte carbone. Un véritable casse-tête pour les militants de l’environnement, qui ne parviennent toujours pas à trouver une alternative écologique.

Ecology 2.0: combining digital technology with the defence of the environment

(english) Today, the environmental revolution can be launched straight from your computer. Ecological organisations use all of the tools at their disposal as they constitute an effective alternative. However, it must be acknowledged that using digital means leaves a huge carbon imprint. This is a true dilemma for environmental activists, who have yet to find a sustainable alternative.

Plusieurs acteurs et activistes de différentes organisations environnementales interrogent la portée et l’empreinte laissée sur l’environnement par l’utilisation des réseaux sociaux et d’autres outils numériques. Pour comprendre ces enjeux, nous avons interrogé deux militantes d’associations environnementales, aux modes de fonctionnement différents à Paris. Nous avons rencontré Lucie, militante de Greenpeace, et Léo, militant d’Extinction Rébellion, qui nous ont expliqué pourquoi les outils numériques sont indispensables au fonctionnement de leur associations et quelles pistes ils explorent pour trouver des alternatives plus respectueuses de l’environnement.

« Tout le monde est très sensible à la question de la pollution numérique, c’est-à-dire de la pollution liée à Internet. Je mets ma main au feu que tout le monde se questionne et essaie de trouver des solutions. Cependant, le problème est le suivant: aujourd’hui, les réseaux sociaux touchent tellement de gens qu’il est difficile de trouver une meilleure alternative. Bien-sûr, certaines personnes réfléchissent à de meilleures solutions plus respectueuses », explique Léo, militant d’Extinction Rébellion depuis deux ans.

«Aujourd’hui, les réseaux sociaux touchent tellement de gens qu’il est difficile de trouver une meilleure alternative »

Il avoue avec un certain malaise que ce n’est pas un sujet facile à aborder. Ce malaise est ressenti non seulement par lui, mais aussi par d’autres militants d’Extinction Rébellion et d’autres organisations, qui sont tous conscients de l’ampleur de la pollution due à l’utilisation d’Internet et des outils numériques. 

L’empreinte digitale en chiffres

Selon les données fournies par Greenpeace dans son rapport Clicking Clean en 2017, l’empreinte carbone produite par l’utilisation des plateformes numériques est tellement importante que « si Internet était un pays, il serait le sixième plus polluant au monde », en raison du grand nombre d’activités réalisées sur le web et de l’impact de chacune d’entre elles sur l’environnement. 

Certains chiffres du même rapport indiquent que l’activité sur le web génère actuellement 2 % des émissions mondiales de CO2 et l’équivalent de 7 % de la consommation d’électricité dans le monde. Une simple recherche sur Internet libère 0,2 gramme de CO2 dans l’environnement. Les opérations plus complexes sont encore plus polluantes. (1) 

De plus, le rapport de l’Agence française de l’environnement La face cachée du numérique en 2019, considére qu’un courriel de 1 MB émet au moins 19 grammes de CO2, en estimant à 293 milliards le nombre de courriels envoyés quotidiennement dans le monde (5). D’autres actions sur internet peuvent également générer de la pollution comme, par exemple, le visionnage de vidéos en streaming, ainsi que l’écoute de musique ou l’envoi de messages par le biais de différentes applications. (2)

Logo d’extinction rébellion, paradoxe d’un combat qui laisse à son tour, des traces sur l’environnement

Des outils numériques indispensables

Lucie, militante de Greenpeace depuis 2016 a été chargée de la stratégie numérique pour son groupe local à Paris pendant quelque temps. Elle a vécu de près l’évolution numérique dans l’organisation, avec tous les avantages et les inconvénients que cela implique. Elle reconnaît, malgré les dilemmes qui peuvent surgir, la dépendance que les réseaux sociaux ont engendrée dans l’activisme, en raison de l’impact élevé qu’ils produisent. 

Les outils numériques utilisés sont leurs sites web, les réseaux sociaux, la Newsletter, les Decidim – plateformes de démocratie participative en ligne, – les plateformes de pétition en ligne telles que change.org, les outils de don d’argent pour soutenir la cause. Enfin, nouvelle tendance qui a émergé ces derniers temps, les applications de chacune de ces organisations elles-mêmes. 

L’utilisation que les associations environnementales peuvent tirer des outils numériques peuvent être regroupés en quatre champs : la sensibilisation et la communication pour gagner de nouveaux adhérents, gérer un espace de débats, l’organisation des actions militantes, et enfin l’appel au don. 

Tout d’abord, la sensibilisation et la communication pour gagner des nouveaux adhérents? Cela consiste principalement en des actions de diffusion et de recrutement, notamment dans les réseaux sociaux de leurs organisations. 

Il est à noter que Greenpeace France compte 830 713 abonnés sur Facebook, 193 000 sur Instagram et 441 300 sur Twitter. Alors que Extinction Rébellion France compte près de 119 879 abonnés sur Facebook, 63 500 sur Instagram et 32 700 sur Twitter. 

Communiquer, fédérer, agir

Ensuite, les organisations utilisent aussi les outils numériques pour organiser des débats autour des sujets sur lesquels elles travaillent, ce qui leur permet de se positionner dans le débat public. 

« L’espace public qu’ils offrent [Gafam et réseaux sociaux (6)] est tellement important, qu’en fait on est obligés d’y être, pour représenter notre voix, et pour que les débats ne se fassent pas sans nous », indique Lucie.

D’autre part, les organisations s’appuient également sur le numérique pour synchroniser les actions militantes sur le terrain. On peut citer en exemple les événements sur Facebook, qui permettent d’informer le public sur les réunions et les activités à venir, ou bien les forums internes où s’organisent les militants.  Greenpeace a ainsi développé quelques applications pour réunir sa communauté et des partisans qui ne sont pas encore impliqués à 100%, mais qui pourraient potentiellement s’engager plus largement.

Parmi ces outils, l’application Green Wire, décrite ainsi au moment du téléchargement : « L’app est un lieu de rencontre pour se connecter avec des bénévoles, des militants et d’autres personnes qui veulent protéger l’environnement. Voyez-le comme un réseau social, où vous pouvez facilement voir ce que font les autres autour de vous et y participer. » (3)

Un clic, un don

Les outils numériques permettent aussi aux associations de faciliter les appels au don. Sur la page de Greenpeace et de Rébellion d’Extinction, un onglet est intitulé « Don ». Sur la page des dons de Greenpeace, il est souligné que : « Ce soutien nous permet de dénoncer et de proposer des solutions alternatives concrètes. C’est grâce à vous uniquement que nous pouvons tenir ce rôle car 100% de nos ressources proviennent des dons des particuliers. » (7)

La page d’Extinction Rébellion appelle à des dons afin d’être approvisionné en « location de matériel; achat de matériel pour fabriquer des drapeaux et autres supports des campagnes; location d’espaces pour des réunions, conférences et des formations ; frais de structures liés aux outils informatiques, frais judiciaires » . (8) 

Ces utilisations ont été analysées, en particulier dans le cadre du travail de recherche Médiactivistes: « Les militants altermondialistes vont trouver dans le réseau des réseaux un espace particulièrement adapté à la construction de nouvelles formes de mobilisation et d’engagement. Les ressources d’internet seront mobilisées à la fois comme supports de coordination, moyens d’information et modes d’action à travers le nouveau répertoire d’actions du cyberactivisme » (Cardon, D., Granjon, F., 2013). 

Certaines ONG, comme Sea Sheperd, utilisent des stratégies qui ressemblent plus à des méthodes marketing pour donner de l’importance à leurs membres, ainsi, des outils et matériaux de communication sont créés afin de donner de l’importance aux missions et aux membres

Green Likes : un réel engagement en faveur de l’environnement ?

Cette pollution numérique est-elle réellement efficace? Est-ce qu’il y a un véritable lien entre l’utilisation des outils numériques et le niveau d’engagement dans ces organisations? 

Bien que le nombre des abonnés et des likes ne soit souvent pas représentatif d’une réalité « hors-écran » , pour Léo, cette interaction dans les réseaux sociaux joue un rôle fondamental qu’il ne faut pas sous-estimer. « Ces likes contribuent d’une manière ou d’une autre à ce que davantage de personnes rejoignent l’association. Je suis arrivé par Facebook, donc ces likes sont utiles, pour que des gens comme nous puissent avoir une visibilité sur les événements, par exemple », précisa-t-il. 

« Je suis arrivé par Facebook, donc ces likes sont utiles »

Pour Lucie, l’engagement que les organisations pourront obtenir d’une campagne va dépendre de la façon dont sont utilises les ressources numériques. Ainsi, il est nécessaire de tirer le meilleur parti de ces médias pour avoir un réel impact. Par exemple, Twitter a constitué un élément essentiel des deux plus grandes campagnes auxquelles elle a participé. 

Dans la première de ces campagnes, intitulée Stop Écran, un groupe s’est mobilisé contre les écrans publicitaires numériques dans l’espace publique. La seconde campagne visait une action locale sur l’alimentation dans les cantines scolaires à Paris, que Greenpeace a menée pour demander l’instauration de deux menus végétariens hebdomadaires.

« Dans cette campagne, on s’est beaucoup servi des réseaux sociaux. Ça allait ensemble avec une mobilisation sur le terrain, mais on s’est beaucoup servi notamment de Twitter, parce que les décisionnaires sur ces sujets sont les maires d’arrondissements et Twitter, c’est très politique », explique Lucie. 

Des campagnes telles que celles mentionnées ci-dessus ou, plus récemment, la campagne #GreenFriday contre le Black Friday ou #StopAmazon, à laquelle Extinction Rebelión et d’autres organisations ont activement participé, cherchant à sensibiliser les gens au commerce local, sont des exemples clairs de mobilisations qui peuvent amener l’opinion publique à débattre de questions sensibles, grâce à la diffusion numérique. 

Ces images n’ont aujourd’hui plus d’effets sur le spectateur. La majorité des personnes ont déjà vu ces campagnes et ces éléments, l’affectif ne répond plus.

Vers un avenir numérique plus vert ?

Les avantages que les associations peuvent tirer des outils numériques sont nombreux et il serait contreproductif de s’en priver. Par conséquent, toute alternative possible devrait offrir le même niveau d’efficacité, tout en étant moins polluante. Telle est la direction vers laquelle souhaitent se diriger Greenpeace et Extinction Rébellion.

Peu à peu, de nouvelles alternatives apparaissent, qui pourraient atténuer cette dépendance des organisations environnementales aux grandes plateformes numériques. Comme le souligne Laurence Monnoyer-Smith : « Les organisations doivent pouvoir s’adapter pour tirer le meilleur parti des outils [numériques] disponibles. Il est impératif de composer avec ces dimensions de la culture numérique auxquelles [on] participe à la fois par des dispositions techniques et par des pratiques sociales », afin de s’adapter au contexte actuel et d’utiliser les outils numériques pour son propre bénéfice environnemental (Monnoyer-Smith, 2017). 

Extinction Rebelión a développé ses propres outils numériques, dont les serveurs utiliseraient les énergies renouvelables en Suisse, selon ce qui est indiqué sur leur page (4). « Ils ont leur propre forum dans Matters Most [service de messagerie open source] et puis sur leur site web, ils ont une extension appelée base, où on peut accéder à un espace personnel pour les membres de l’organisation. À travers ces plateformes, nous communiquons entre les membres de l’association, c’est plus pour la communication interne, pour l’organisation, la coordination des actions, la création de groupes d’action, et tout ce qui est pour mettre les membres à jour », explique Léo. 

Selon Lucie et Léo, leurs propres applications, Green Wire et le forum sur Matters Most, sont beaucoup plus conviviaux que les réseaux sociaux, sans publicité et sans utilisation les données à des fins commerciales. 

Des conseils… mais pas de révolution

Mais pour autant, les seules actions concrètes qu’ils ont citées relèvent de conseil sur la façon d’optimiser l’utilisation des outils numériques ou de petites actions quotidiennes qui peuvent réduire l’impact environnemental, telles que la réduction de la résolution vidéo, la désactivation de la lecture vidéo automatique, la préférence pour le Wi-Fi par rapport aux réseaux mobiles. Ou encore le fait de télécharger des films en une fois pour ne pas abuser du streaming. Il est également recommandé de supprimer ses mails, de fermer les fenêtres du navigateur.

Lucie et Léo sont tous deux d’accord pour dire que ces conseils sont utiles pour l’instant. Toutefois, à l’avenir, il sera nécessaire d’envisager d’autres actions, en raison des progrès vertigineux du numérique et de son impact grandissant sur nos vies. Le défi sera de rechercher des alternatives plus éthiques et plus durables pour effectuer tout le travail de communication de manière aussi efficace que via les réseaux sociaux, mais avec un impact environnemental le plus faible possible. 

À l’avenir, il sera nécessaire d’envisager le numérique sous un autre angle et profiter des produits et des services que le numérique propose, comme le souligne le texte Livre blanc numérique : « Mettre le numérique au service de la transition écologique, c’est utiliser son potentiel disruptif, sa capacité à bousculer les acteurs en place, à transformer les modèles dominants et pas seulement, à en optimiser le fonctionnement. » (Iddri et. al., 2018).

Lucie espère que ces questions sur l’utilisation des outils numériques continueront à se poser et que cela permettra d’améliorer de plus en plus nos pratiques, afin que l’utilisation du numérique dans l’activisme ne soit pas contre-productive. « Le numérique va devenir aussi un sujet qui va être traité et qui va être interrogé par les écologistes, parce qu’avec l’utilisation grandissante d’appareils et d’outils numériques il y a effectivement la question de l’énergie, de la consommation énergétique, de sources d’énergie et de comment utiliser ces moyens de manière intelligente sans surconsommation électrique », explique Lucie. 

Démarche photographique

Le combat mené par les ONG qui ont pour but de protéger l’environnement est à double tranchant. En effet, il demeure profondément contradictoire dans son essence. Ainsi, les traces laissées par l’utilisation des outils numériques sur l’environnement sont conséquentes et cela placent les militants écologistes au cœur d’une impasse. Ma démarche photographique réutilise les codes de communications des ces dernières, afin de montrer sous un angle dystopique, une allégorie de l’impact créé par ces ONG sur la planète.

L’avenir repose sur l’amélioration des bonnes pratiques concernant l’utilisation du numérique, en profitant de ses avantages, tout en adoptant des logiques plus respectueuses de l’environnement. C’est certainement une responsabilité qui incombe non seulement aux militants de l’environnement, mais à chacun d’entre nous qui sommes connectés. 

(1)http://archivo-es.greenpeace.org/espana/Global/espana/2016/report/tecnologia/Clicking_Clean_2017.pdf

(2)https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/guide-pratique-face-cachee-numerique.pdf

(3) https://greenwire.greenpeace.es/pagina-de-inicio/bienvenid

(4)https://organise.earth/login

(5) https://googleblog.blogspot.com/2009/01/powering-google-search.html 

(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/GAFAM 

(7) https://faire-un-don.greenpeace.fr/

(8) https://extinctionrebellion.fr/faire-un-don/

Bibliographie indicative

Cardon, D., Granjon, F. (2013). Médiactivistes. Paris: Presses de Sciences Po. GRANJON,

Monnoyer-Smith, L. (2017). Transition numerique et transition ecologique. Annales des Mines – Responsabilité et environnement, 87(3), 5-7. https://doi.org/10.3917/re1.087.0005

Iddri, FING, WWF France, GreenIT.fr (2018). Livre blanc Numérique et Environnement.

GRANJON, Fabien, « Le web fait-il les révolutions ? », Sciences humaines, 2011/9, p.13-13.

L'auteur.e

Barbara Coloma
Barbara est une étudiante chilienne en M2 Plateformes numérique à Paris 8. Après avoir fait l'école de journalisme au Chili, elle a tourné vers le numérique. Elle s'intéresse aux thèmes liés aux fractures numériques, aux migrations et aux problèmes environnementaux.

Le.la photographe

Ludovic Balay
Ludovic est né en Bretagne. Il étudie les sciences humaines avant de se tourner vers des études de photographie à l'ENS Louis-Lumière. Son enfance, au contact de l'océan l'imprègne d'une sensibilité très graphique et cinématographique. Il se plaît à capturer des scènes de vie à travers des lumières marquées et par une esthétique épurée. Il s'inspire de différents univers visuels comme la photographie, le design ou l'architecture, mais aussi de la musique et la littérature.

Articles similaires

backup

Retour en haut