Que restera-t-il après ma mort ? Quelles sont les traces que je laisserai ? Qui se souviendra de moi ?[1]
Beaucoup de personnes se voient confrontées à ces questions lorsqu’elles pensent à leur mort. Tout au long de notre vie, nous accumulons de nombreuses traces de nos vies à travers le monde numérique. Mais que se passe-t-il lors de notre disparition ? Afin de perpétuer les mémoires, les personnes prennent différentes mesures.
Certaines personnes décident d’elles-mêmes de poursuivre l’activité d’une personne chère disparue sur les réseaux sociaux. D’autres organisent de leur vivant la façon dont sera gérée l’activité de leur profil sur les réseaux sociaux, parfois même grâce à une intelligence artificielle. Dans le cloud, le désir d’une vie éternelle devient alors réalisable. Suffit-il de prendre les bonnes précautions pour préparer un mausolée numérique et contrôler donc la mémoire de soi ? En fait, il y a toujours un risque que les profils numériques des personnes post-mortem ne correspondent pas à ce qu’elles étaient vivantes.
Qingyu est une étudiante chinoise qui utilise une plateforme sociale différente de celle utilisée en France en raison du pare-feu chinois. Cela nous amène à nous demander si les gens ont des attitudes et des pratiques différentes à l’égard de la création de mémorial dans différents contextes culturels et en fonction des règles des plateformes. Nous avons interrogé cinq Chinois d’âges et de professions différents afin de connaître leur point de vue.
“Portrait photographique en noir et blanc d’une jeune femme. Il montre le profil de la femme et elle regarde dans l’appareil photo. Ses cheveux bouclés tombent sur ses épaules. Elle a des taches de rousseur. Elle est coupée sous la partie supérieure nue des épaules et montre la tête dans son ensemble. Son regard est fort.”
“Une photographie d’une jeune femme assise dans un restaurant parisien. La femme tient un expresso dans sa main gauche et sourit à l’appareil photo. La femme porte un manteau sombre et une tenue pointue. Un appareil photo est accroché à son cou. Elle a des taches de rousseur et des yeux bleus. Ses cheveux sont attachés en un chignon. Les couleurs ont un aspect vintage.”
“Une photographie d’une jeune femme prenant un selfie avec son téléphone portable devant un miroir. Elle est assise les jambes croisées, a des cheveux blonds à longueur d’épaule et rit dans l’appareil photo. Elle porte un t-shirt bleu et un pantalon bleu. En arrière-plan, une pièce avec des meubles en bois clair. On peut voir un lit et une étagère.”
Deuil et croyance en une vie après la mort
“Je me connectais souvent à son compte pour publier du contenu à son nom. Je savais que ses amis et ses proches étaient aussi tristes que moi, et je voulais que tout le monde sache qu’elle allait bien de l’autre côté.”
SIQI
Les motivations pour un tel mémorial sont diverses. Elles trouvent leur origine dans des convictions religieuses, dans la peur de l’oubli ou dans la volonté d’offrir un réconfort aux proches endeuillés. C’est par exemple le cas de Siqi, 26 ans, étudiante chinoise. Après la mort de sa mère, elle a repris ses comptes. “Je me connectais souvent à son compte pour publier du contenu à son nom. Je savais que ses amis et ses proches étaient aussi tristes que moi, et je voulais que tout le monde sache qu’elle allait bien de l’autre côté.”, explique Siqi.
Cette conviction que la vie se poursuit avec la mort se retrouve dans des religions différentes. Dans le christianisme, la résurrection joue un rôle central[2], le bouddhisme et d’autres religions monothéistes croient aussi en la réincarnation. Siqi ne se dit pas croyante, en Chine, l’État encourage les citoyens à devenir membres du parti communiste, et cet engagement n’autorise pas la pratique d’une religion. Son témoignage montre néanmoins un attachement à une croyance bouddhiste. “Le bouddhisme a prospéré tout au long de l’histoire de la Chine, de sorte que nous sommes toujours plus ou moins influencés par la pensée bouddhiste”, explique Xuejun, une Chinoise âgée de 76 ans.
Nous avons rencontré 5 Chinois, seule Siqi a affirmé être intéressée par l’aventure numérique post-mortem. Certains ne se sont jamais posé la question d’un mausolée numérique, d’autres s’y sont même opposés. Lijia, enfant unique qui a grandi avec un contrôle parental strict, est très soucieuse de sa vie privée. Ses comptes sociaux représentent son jardin secret, où elle montre une autre facette d’elle-même. Pour ces jeunes, la prise en charge de leurs comptes après leur décès entraînerait une nouvelle “mort sociale”.
Une vie sous intelligence artificielle
Certaines personnes préparent au contraire l’autel numérique qui perdurera après leur disparition. Un projet rendu possible grâce à des structures dédiées, comme la plateforme portugaise Eter9, développée par l’informaticien Henrique George. Créer un mausolée numérique peut ainsi devenir réalité.
Tout au long de leur vie, les utilisateurs alimentent l’algorithme d’auto-apprentissage en informations sous forme de publications, de photographies, de mentions « j’aime » et de messages textuels. D’autres réseaux sont également passés au crible et servent à la sauvegarde de données. C’est ainsi que la plateforme apprend à connaître et à “copier” ses utilisateurs. Après la mort, l’intelligence artificielle devra reprendre l’animation de l’avatar.
« L’immortalité est […] tout à fait possible sans Dieu au 21e siècle »[3]
Moritz Riesewieck (L’âme numérique)
Siqi souhaite également créer un avatar d’elle-même qui restera en contact avec ses amis après sa mort. “Je suis une personne qui apporte souvent de la joie à mes amis, j’espère que l’intelligence artificielle m’aidera à continuer à le faire après ma mort.” D’autres utilisateurs de Eter9 pensent également que cette présence post-mortem représente l’avenir, qui ne devrait pas avoir lieu sans eux. Grâce à leur double numérique, ils souhaitent bénéficier des progrès techniques et garantir le développement de leur personnalité après leur décès. Bien sûr, certains soulignent les dérives et les limites de ces sites. Lian, 51 ans, fonctionnaire chinois, estime que la création de l’IA entraînera des dissonances cognitives et des défis éthiques pour les gens. Il s’agit d’un site qui remet en question la frontière ténue entre les machines et les humains, et Lian craint que ses proches en soient trop dépendants, ce qui les empêche de surmonter leurs propres émotions. Pour l’instant, je ne l’accepte pas, mais l’avenir est incertain.”, ajoute Lian.
“Une jeune femme aux cheveux blonds de longueur moyenne se tient devant l’Opéra parisien. Elle porte une chemise à rayures blanches et noires. La chemise est nouée sur son pantalon et les manches sont retroussées jusqu’aux coudes. Elle porte un jean bleu et des talons hauts colorés avec un épais talon compensé. Elle porte un sac à main noir et sourit. Ses yeux sont bleus et elle a des taches de rousseur.”
“Photographie d’une jeune femme dans le Jardin de Luxembourg. Au premier plan, elle marche sur un chemin de sable, dos à l’appareil photo. À l’arrière-plan, on peut voir le jardin avec des fleurs rouges. Elle porte un pull mauve, un pantalon large bleu et un sac de jute vert. Ses cheveux sont coiffés en chignon.”
“Portrait d’une jeune femme assise derrière une table avec du fromage et du vin. Cheveux en chignon, pull sombre, elle rit et a des taches de rousseur. Des yeux bleus. La scène est éclairée à la bougie. Hyperréaliste, 8k, détaillé”
La vie après la mort doit être planifiée
Il existe alors différentes possibilités pour la création d’un mausolée numérique. Soit la vie éternelle est mise entre les mains des proches, soit elle est confiée à une intelligence artificielle. Mais les deux approches nécessitent une préparation.
En Chine, de plus en plus de jeunes inscrivent leurs mots de passe pour les différents réseaux sociaux dans leur testament. Ainsi, ils souhaitent garantir que leurs héritiers puissent se connecter sans problème à leurs comptes et les faire perdurer[4].
En raison du nombre croissant de comptes « morts », Facebook se voit aussi confronté à la question du devenir des comptes des personnes décédées, pour lequel il a pris des mesures. Il permet aux personnes de désigner un héritier de leur vivant. Après leur décès, l’héritier peut transformer le compte du défunt en un compte commémoratif et le gérer[5].
En 2016, le législateur a même adopté la loi n° 2016-1321 relative à la République numérique “Toute personne peut définir les instructions relatives à la conservation ou à l’effacement de ses données personnelles après son décès, et peut même désigner une personne chargée de les mettre en œuvre de son vivant.” [6]L’accès au compte semble donc être la consigne la plus importante.
Sur la plateforme Eter9, la préparation s’avère plus longue. Plus l’utilisateur est actif sur les réseaux, plus l’algorithme travaille avec précision et plus le double numérique devrait être proche de la personne réelle. En choisissant consciemment les informations à partager, les personnes actives peuvent ainsi, en théorie, contrôler la vie numérique ultérieure. Ils décident à partir de quelles données leur “soi futuriste” sera construit.
“Photographie d’une jeune femme assise à la table d’un bar. Devant elle se trouve unverre de vin blanc. Le corps est visible de profil. La tête est penchée en avant. Elle regarde son téléphone portable, qui est posé sur la table. De sa main, elle touche sa bouche fermée. Elle porte une veste en jean bleue. Ses cheveux blonds sont attachés en une tresse. Elle a des taches de rousseur. En arrière-plan, d’autres personnes sont à la table.”
“Portrait d’une femme dans un bar sur le toit. Elle est assise dans le contre-jour du soleil, elle porte une robe léopard. Seul son profil est visible, elle regarde sur le côté, elle a une bouteille de bière devant elle. Ses cheveux sont blonds, elle a des taches de rousseur et d’autres clients sont assis à l’arrière-plan. Lumière chaude, hyperréaliste, détaillée, 8k, photographie. »
“Photographie d’une jeune femme se tenant dans un musée devant les peintures d’Andy Warhols, Campbell Soup. Elle se tient sur le côté droit des peintures. Le mur blanc est en diagonale par rapport à elle. Elle porte une tresse, un foulard rose et des vêtements noirs. Elle regarde le tableau. Seuls les tableaux sont éclairés.”
Qui garantit la véracité des mausolées ?
Pourtant, malgré toutes les précautions prises, une incertitude demeure. Il est impossible de vérifier la précision des algorithmes et la fidélité des proches à l’esprit de la personne. Leur représentation correspond-elle aux idées de la personne décédée ? S’agit-il d’une interprétation qui s’éloigne de plus en plus de la personne réelle ? Une restitution fidèle est-elle possible et l’utilisateur est-il même capable de définir son propre soi ?
Selon Hélène Bourdeloie, le numérique interroge sur le statut, l’identité et l’avenir du défunt et sur la continuité de la vie en ligne co-créée entre les proches du défunt. Il permet aux proches de façonner l’identité posthume du défunt[7]. Eter9 se trouve actuellement encore en phase de test et collecte assidûment les données. Pour l’instant, nous n’y rencontrons pas d’avatar de personnes mortes qui pourraient répondre à ces questions. Les questions restent également ouvertes pour les cas où les proches reprennent les comptes. Souvent, il s’agit d’une image du défunt dont l’héritier aime se souvenir, comme dans le cas de Siqi. Il s’agit de sa vision de sa mère.
Certaines personnes de sa famille ont mal réagi à son activité et dénoncent des problèmes éthiques. Sa tante explique par exemple que dans la société chinoise : “La plupart des gens n’aimeraient pas qu’une personne proche mette à jour leurs comptes sociaux une fois décédés, cela leur porterait malheur.” Siqi a alors cessé de publier et a depuis perdu les données d’accès.
La vie éternelle et la lutte contre l’oubli ne sont donc pour l’instant que des projections. La grande question de la vie après la mort reste pour l’instant sans réponse et incontrôlable.
“La plupart des gens n’aimeraient pas qu’une personne proche mette à jour leurs comptes sociaux une fois décédés, cela leur porterait malheur.”
La tante de SIQI
Bibliographie
[1] Theresa Locker, “Im neuen sozialen Netzwerk Eter9 postet eine KI nach deinem Tod weiter”, 26 août 2015, Im neuen sozialen Netzwerk Eter9 postet eine KI nach deinem Tod weiter (vice.com) (consulté le 01/12/2022). [2] Steve Przybilla, “Künstliche Intelligenz: dank Chatbot im Dialog mit Toten bleiben”, 10 juillet 2021. Künstliche Intelligenz: dank Chatbot im Dialog mit Toten bleiben (nzz.ch) (consulté le 01/12/2022). [3] Riesewieck, Moritz, Hans, Block. Die digitale Seele: unsterblich werden im Zeitalter künstlicher Intelligenz, Goldmann, 2020. [4] Xinhua Daily, « Les testaments des années 90 et 00 se concentrent sur les biens virtuels, que laisse le « je » numérique ? », 1 avril 2022, https://finance.sina.com.cn/tech/2022-04-01/doc-imcwipii1774160.shtml (consulté le 01/12/2022). [5] Generali, « Comment transmettre votre héritage numérique ? », 9 octobre 2022, https://www.generali.fr/actu/heritage-numerique-donnees-deces/ (consulté le 27/11/2022). [6] Avocats Droit Succession, « Mort numérique », 3 mai 2022, https://avocat-droit-succession-cahen.fr/apres/mort-numerique/ (consulté 27/11/ 2022). [7] Bourdeloie Hélène, Julier-Costes Martin, « Deathlogging: social life beyond the grave», Lifelogging, Springer VS, Wiesbaden, 2016, pp. 129-149.
Démarche photographique
Dans notre article, nous nous interrogeons sur les nouvelles possibilités offertes par l’intelligence artificielle pour créer du contenu pour les réseaux sociaux après la mort. Pour ce faire, des réseaux comme Eter9 analysent les publications qui ont été publiées tout au long de la vie sur différents réseaux sociaux . Sur la base de ces informations, un profil est créé, qui devrait reproduire la personne réelle le plus fidèlement possible.
Dans mon projet photographique, j’essaie de répondre à la question de savoir dans quelle mesure l’intelligence artificielle est aujourd’hui en mesure de recréer ma personne en utilisant mes propres comptes de médias sociaux. Pour cela, j’ai sélectionné neuf publications Instagram. Je les ai ensuite décrites sous forme de texte. Les descriptions d’images servent de base à la génération d’images, pour lesquelles j’ai utilisé le programme Dall-E.
