En France, la 5G fait son apparition en novembre 2020. Actuellement toujours en cours de déploiement sur le territoire national, elle suscite beaucoup de réactions, au milieu de théories scientifiques ou complotistes. Les controverses entourant la 5G sont axées sur trois champs principaux : l’écologie, la santé et la démocratie.
(english) 5G first came to France in November 2020 and is currently in the process of being implemented on a national level. There have been many reactions, both scientific and conspiracist. The controversies surrounding 5G are based around three main issues: ecology, health and democracy.
Le développement de la 5G en France est prévu pour durer jusqu’à 2030, et il suscite autant d’attente que de controverses. Un réseau mobile permet à tout appareil connecté (smartphones, tablettes, ordinateurs) d’établir des communications avec d’autres appareils, grâce à des fréquences émises. Ces communications sont permises grâce aux antennes-relais, placées partout dans le territoire national. Après les réseaux 2G, 3G et 4G – qui proposent tous des débits et fréquences de plus en plus élevés, donc une meilleure couverture du territoire et une plus grande rapidité – la 5e génération, ou 5G, fait aujourd’hui son apparition dans le monde. Encore en cours de déploiement en France – les grandes villes étant les premières équipées – celle-ci a pour objectif d’éviter une saturation du réseau dans des zones denses en proposant notamment de nouvelles fréquences. Or, la population “peine à être informée” sur les contours de son fonctionnement.
Pour mieux comprendre ces controverses, nous avons rencontré Denis Bourgeois, militant écologique et membre du conseil d’administration de l’association Robin des Toits, dédiée aux dangers des ondes électromagnétiques artificielles, ainsi que François (prénom d’emprunt) délégué syndical CGT, un habitant d’un HLM situé à Massy, récemment équipé d’une antenne 5G sur son toit. Ces entretiens nous ont permis de mieux cerner les inquiétudes et questionnements liés à l’arrivée de la 5G.
Les profils des personnes se mobilisant contre la 5G sont souvent liés à l’écologie, et ce pour plusieurs raisons : plus d’antennes sont nécessaires avec la 5G car celles-ci ont une moins grosse portée d’émission, la nécessité d’avoir des smartphones spécifiques compatibles 5G encourage la production de nouveaux téléphones dont les composants sont hautement polluants, et l’arrivée de la 5G favorise le partage de données en très grosse quantité, ce qui nécessite davantage de stockage dans des datacenters par exemple. Les professeurs et maîtres de conférence Hervé Rivano, Nicolas Stouls et Jean-François Trégouët désignent à ce propos “l’effet rebond” ou “paradoxe de Jevons” : une action réalisée dans le but de faire des économies d’énergie finit par augmenter cette consommation du fait de l’adaptation des comportements. Ils prennent ainsi l’exemple de la démocratisation de la 3G puis de la 4G, qui a inexorablement “permis le développement de la production de vidéos sur mobiles et l’émergence de nouveaux services gourmands en bande passante tels que Periscope, Facebook live, Instagram, ou plus récemment TikTok” (Rivano, Stouls, Trégouët, 2020). Ils citent également l’exemple des datacenters, tout aussi énergivores, qui certes permettent des gains en énergie, mais qui, de fait, augmentent les utilisations de nouveaux outils et font donc croître la consommation – notamment le développement des intelligences artificielles et des crypto-monnaies, très énergivores. Avec la 5G, sont créés artificiellement de nouveaux “besoins”.
Aussi, l’astrophysicien et lanceur d’alerte Aurélien Barreau, engagé contre la 5G, dénonçait ainsi dans une vidéo postée sur son compte Facebook en février 2020 : « On est dans une période où l’économie d’énergie devrait être notre obsession. Or, avec le passage à la 5G, la consommation des opérateurs va être multipliée par 3 en quelques années« .
“Il y a d’énormes enjeux financiers dans cette affaire…”
La science semble pour certains implicitement “contrôlée par les industriels”. Pour Denis Bourgeois, lorsque l’on parle de science, “il y a souvent d’énormes enjeux financiers derrière, et il y a une sorte de conjonction qui fait que le public a beaucoup de mal à être mis au courant. Mais ce n’est pas nouveau, le tabac a mis 40 ans à ce que officiellement on reconnaisse qu’il était dangereux.” Bien qu’il ne se considère pas « anti-science », Denis Bourgeois parle en effet d’un “filtre dans l’information”. Selon son expérience, les grands médias comme Libération, Le Monde ou Les Échos privilégieraient la mise en avant d’études démontrant que la 5G n’est pas dangereuse pour la santé, oubliant celles qui alertent sur des dangers. Cela ne serait en effet pas dans leur intérêt de parler des dangers de la 5G, car leurs investisseurs principaux sont aussi souvent des dirigeants de réseaux de téléphonies mobiles – par exemple Xavier Niel pour SFR et Le Monde, Olivier Roussat pour Bouygues et TF1. “On a beaucoup de difficultés à donner des informations qui ne soient pas déformées dans ce que l’on peut appeler la presse mainstream”, nous explique-t-il. Il y a tout de même des voix qui s’élèvent au sein de ces journaux. Le Monde publiait entre autres le 17 novembre 2021 une tribune dans laquelle une vingtaine de représentants d’associations critiquaient l’absence de base scientifique des conclusions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sur les effets de la 5G. D. critique quant à lui un autre aspect financier dans le déploiement de la 5G : la relation entre les opérateurs et les propriétaires immobiliers. En effet, pour installer une antenne sur un immeuble, les opérateurs payent un loyer au bailleur. D. trouve donc injuste que cette entrée d’argent supplémentaire ne conduise pas à une réduction du loyer des habitants.
“Les études scientifiques sont financées par les industriels”
“Les industriels […] entretiennent un certain nombre d’écuries de scientifiques, qui financent des études, des labos, etc… qui vont donc sortir des études complaisantes.”
Denis Bourgeois
Pour Denis Bourgeois, le gouvernement favoriserait certaines études plutôt que d’autres, et les comptes rendus des grandes agences de santé sur lesquelles s’appuient le gouvernement pour les prises de décisions seraient à remettre en question. Suite à la parution en avril 2021 du rapport de l’ANSES (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale) sur le déploiement de la 5G, l’association Robin des Toits a répondu à l’institution que le compte rendu était “plus politique que scientifique”. De fait, le rapport ne signale pas de nouveaux dangers pour la santé concernant la bande de fréquence 3,5 GHz (correspondant aux fréquences émises par les antennes, en gigahertz), pour la couverture dans des zones géographiques étendues. Cependant, pour la bande 26 GHz, les données sont encore trop faibles pour pouvoir établir un compte-rendu définitif. L’association Robin des Toits trouve dommageable que bien qu’il n’y ait pas de données définitives des agences de santé, le déploiement des antennes soit toujours en cours. François déplore lui aussi les difficultés à s’informer à ce sujet. Après l’installation d’une antenne 5G sur son immeuble, il a demandé une mesure des ondes électromagnétiques à l’ANFR. Les résultats qu’il obtient sont à la limite légale alors qu’on lui a déclaré qu’il se trouvait dans la zone de faible émission. Il explique également ne pas savoir à quoi correspond ce maximum légal et quelles peuvent être ses conséquences suite à une exposition quotidienne.
“La science est rarement unanime sur un sujet nouveau…”
Pour Denis Bourgeois, ”un des maux dont on souffre aujourd’hui, pour la 5G comme pour le reste, c’est de croire que la science parle d’une seule voix et qui, comme un oracle moderne, nous donne la Vérité avec un grand V.” Il y aurait en effet selon lui plusieurs sciences, qui traitent de sujets différents, avec des données différentes. “La vérité d’aujourd’hui ne sera pas forcément la même 20 ans plus tard”, nous explique-t-il. Cela rejoint la pensée du sociologue Gerald Bronner, qui dit “la science ne dit pas la vérité, elle hiérarchise les modèles intellectuels qui permettent de comprendre le réel” (Fitoussi, 2020).
De son côté François trouve curieux le choix de positionner les antennes 5G en grande partie dans les quartiers populaires et plus densément peuplés. “C’est comme si on était les cobayes, les gens ont déjà des vies difficiles, des maladies dues à la pollution ou au travail donc on pourra jamais savoir si la 5G ajoute un risque !”. Il est inquiet de voir un scandale sanitaire sortir dans dix ou vingt ans. Mais il ajoute rapidement qu’il “[a] été rassuré” de voir la mairie de Massy commander une série de mesures à proximité des écoles. Les résultats de ces mesures sont disponibles sur le site de la mairie et sont tous inférieurs à la limite légale.
Le développement d’une “société de surveillance”
Denis Bourgeois nous explique également que la 5G peut conduire à des dangers pour la démocratie, avec le développement d’une société de surveillance, ”pour lequel la 5G est un outil parfait car il vise à être absolument omniprésent et à multiplier un bon nombre de fois les objets connectés capables de capter des informations sur les individus.” En effet, le but de l’arrivée de la 5G est de fluidifier et d’accélérer la diffusion de contenus et de données data, qui sont toutes les données personnelles laissées sur les sites par exemple, qui seront d’autant plus exploitées avec l’arrivée de la 5G.
“Je crois tout ce que je crains” : davantage de transparence pour moins de méfiance ?
« Les précautionnistes font croire que leurs cris d’alarme sont étouffés, alors qu’il n’est qu’à prêter un peu l’oreille pour les trouver assourdissants.”
Gerald Bronner
Au milieu du XIXe siècle déjà, le développement du chemin de fer avait suscité en France de nombreuses craintes : pleurésies, fluxion de poitrine, explosion de locomotive… Si les “lanceurs d’alerte” à l’origine de ces inquiétudes parviennent à inquiéter l’opinion publique, ils n’empêchent pour autant pas les décideurs de céder à cette inquiétude. Le sociologue Gerald Bronner parle d’une “idéologie” de “précaution” pour décrire notre mode d’action contemporain, qui pourrait correspondre à bon nombre des méfiances entourant la 5G. Selon lui, “Ceux-là mêmes qui contestent ses conclusions [ndlr : de la Science], après avoir mis en doute la probité des chercheurs et leur avoir prêté des intérêts qui les conduiraient à mentir aux citoyens, ne manquent pourtant jamais d’évoquer des recherches menées par des scientifiques « indépendants » qui contredisent la vérité « officielle » et qui ont tout de suite l’oreille du public […]. Le plus piquant est qu’ils affirment souvent que ces informations sont évidemment censurées par les médias officiels.” Gerald Bronner est contre ce principe de précaution, auquel il n’adhère pas.
Selon lui, c’est en effet la place que l’on donne à ces lanceurs d’alerte qui va renforcer leurs idées. Le philosophe allemand Hans Jonas explique que ceux-là mêmes seraient enjoints à développer leurs croyances selon un réflexe qui les dépasserait : l’humanité. Du fait de sa caractérisation d’espèce vivante, l’humain doit être préservé de tous les dangers potentiels qui pourraient menacer son espèce. Selon lui, “ceux qui conçoivent les innovations technologiques devraient, avant d’être autorisés à les introduire dans nos sociétés, faire la preuve qu’elles ne présentent aucun risque environnemental et sanitaire, soit dans le présent, soit pour les générations futures.” En cas de doute, il faut envisager le pire et interdire toute innovation technologique.
Le mois dernier, on comptait au total 27460 antennes installées dans l’hexagone, réparties entre les différents opérateurs mobiles, l’opérateur Free en tête de la course, suivi par Bouygues, SFR et Orange. En 2023, la 5G utilisera la nouvelle bande de fréquences de 26 GHz, dont les effets sur la santé sont encore méconnus – ce qui relancera peut-être les méfiances et débats autour de la 5G.
Démarche photographique : Durant les entretiens, l’impression d’un flou, d’un rapport au monde brouillé par le manque d’informations ou les fake news est souvent revenue dans la bouche de nos interlocuteurs. Nous nous sommes donc très vite demandé comment les inquiétudes des personnes réticentes au développement de la 5G pouvaient modifier leur rapport au monde ?
Cette question avait un double intérêt : elle permettait d’aborder notre thématique avec le regard des personnes interviewées mais également de tenter de rendre visible un élément invisible. Nous avons donc travaillé à partir de montages photos composés d’immeubles d’habitations et de bruit numérique.
Rebecca FITOUSSI, « Gerald Bronner : La théorie du complot va dans le sens des intuitions du cerveau » [en ligne], Publié le 22/05/2020, Public Sénat
Gerald BRONNER, La peur au cœur de notre quotidien technologique, dans “Les peurs collectives” (2013), pages 87 à 102
Hans JONAS, Le Principe responsabilité (1979)
Étude de l’Institut français de l’opinion publique (IFOP), réalisée avec l’Académie française des technologies (2020)
Felix GOUTY, Plus de la moitié des Français se méfieraient des nouvelles technologies, [en ligne], article publié le 11 décembre 2020, Journal du Geek