La plateforme est devenue incontournable en matière de prescription et d’actes d’achats de vêtements. Son fonctionnement induit une accélération de la consommation en particulier pour la génération Z, tiraillé entre une boulimie d’achats et une certaine conscience écologique. Aujourd’hui, les tendances ne se trouvent plus sur les podiums, mais sur cette application de création et de partage de vidéos qui est fortement plébiscitée par la génération Z. La plateforme incite à un consumérisme effréné avec la complicité des marques.
Dans notre enquête, nous avons voulu comprendre les habitudes de consommation des utilisateurs de TikTok, leurs interrogations éthiques ainsi que les stratégies de défense qu’ils ont pu mettre en place. Pour cela nous avons interrogé plusieurs personnes adeptes de fast fashion ou de seconde main, sollicitées dans le cœur de la mode marchande de Paris, le quartier du Louvre/ Rivoli.
Consommer, partager, recommencer
TikTok offre une scène virtuelle à tous ceux qui le désirent et parfois, cette scène s’apparente à un défilé de mode. Sans TikTok, les tendances du survêtement monochrome, du sourcil épilé en forme de cœurs et des franges e girl ne seraient jamais parvenus à nous. Cette application est devenue une référence en matière de tendances. Dior, Balmain et Louis Vuitton ont compris l’intérêt de cette plateforme en diffusant en direct leurs défilés sur l’application. La plus grande agence de mannequins IMG Models repère les futures stars de podium sur cette application. Les Tiktokeurs ont remplacé les journalistes au premier rang des défilés. Ainsi, Charlie D’amelio, la personne plus suivie sur l’application est devenue égérie de la marque de luxe Prada. De Chanel à Mcdonald’s, les marques ont investi Tik Tok et adoptent des stratégies diversifiées pour capitaliser l’attention des utilisateurs. Dans ce domaine, la fast fashion est reine. le secteur de la mode qui produit le plus massivement et le plus rapidement
SHEIN, le leader de la fast fashion, compte trois millions d’abonnés sur la plateforme et son hashtag a été visionné plus de quinze milliards de fois. Cet énorme succès s’explique grâce aux courtes vidéos de présentation de vêtements (haul) qui sont présentes en nombre sur la plateforme. Cette stratégie numérique a permis à l’entreprise de générer 10 milliards de chiffres d’affaires en 2020. Pour la sociologue Sophie Kurkdjian, l’intérêt principal de la fast fashion réside dans « son renouvellement très rapide ». En effet, quand une maison de haute couture sort quatre collections par an, la fast fashion en sort cinquante-deux. Pour Morgane, étudiante en droit, l’atout de la fast fashion est : « le rapport qualité prix car généralement j’ai les codes promos etc ça arrive plus tôt à la maison. En plus, je n’ai pas à sortir pour faire la queue. » Des t-shirts à 4 euros, des pantalons à 7 euros et des robes à 20 euros la véritable force de ces sites résident dans ces prix. Avoir accès à des milliers de références, à partir de son portable, sans sortir de chez soi est le confort absolu pour les consommateurs.
« Tout ce que porte Kim Kardashian, je l’achète par la suite. »
Elsa
Mais l’arme fatale de la fast fashion, ce sont les influenceurs. « Tout ce que porte Kim Kardashian, je l’achète par la suite. Les influenceurs ont beaucoup plus d’impact que la mode traditionnelle. Chaque vêtement que porte la famille Kardashian/ Jenner est recopié la seconde d’après. C’est fou quand même », nous confie Elsa, étudiante en histoire de l’art. Une pièce portée par un influenceur à un potentiel de viralité énorme sur les réseaux sociaux. Cette « consommation ostentatoire » théorisée par le sociologue Thorstein Veblen permet aux influenceurs de s’affirmer socialement car « c’est à l’évidence seule que va l’estime ». Cet effet boule de neige permet que le vêtement soit considéré comme un best-seller. En 2020, après la sortie sur Netflix de la série La Chronique des Bridgerton , la mode du corset a envahi Tik Tok. Après cette surexposition numérique du corset, la fast fashion a enregistré une demande de 91% sur ces sites. Les influenceurs se sont appropriés cette mode du corset en créant le hashtag RoyalCore, où ils superposent le corset sur des tenues modernes. L’influenceuse américaine Kylie Jenner a popularisé la mode du chemisier corset à ses 289 millions d’abonnés. En quelques minutes, la fast avait déjà recopié cette tendance. La mise en visibilité des vêtements portés par les influenceurs n’est qu’une facette de l’économie de l’attention mise en place par la plateforme.
Cette expression est inventée par l’économiste Herbert A. Simon, qui définit l’attention comme « une ressource rare et précieuse » qui restreint notre capacité à traiter l’information. 90 % des utilisateurs de TikTok passent en moyenne plus de 40 minutes par jour à consommer du contenu. Dans les plateformes numériques, l’attention est perçue comme un objet de valorisation. L’application attire les consommateurs grâce à ces formats courts de 15 à 60 secondes. « Je crois que je suis plus concentré quand je suis sur TikTok que quand je suis mes cours d’économie. C’est bizarre mais ça me rend plus apte à acheter les produits que je vois sur les comptes que je suis», nous confie Léo étudiant en droit. Forbes souligne dans un article publié en 2020 intitulé “ Digital Crack Cocaïne » que les utilisateurs de TikTok sont « dans cet état agréable de dopamine. C’est presque hypnotique, vous continuez à regarder et à regarder ». Ces longues heures passées sur l’application captent « la ressource rare » de l’attention des consommateurs et ouvrent la voie numérique vers une consommation illimitée. « Je me considère comme une personne ouverte d’esprit mais sur TikTok je reste dans ma zone de confort. Je consulte seulement du contenu qui parle d’écologie ou de friperie. Du coup, c’est un peu paradoxal, je suis ouvert dans la vraie vie mais renfermé sur les réseaux sociaux», nous confie Léo . Le New York Times a publié en 2020, des documents internes transmis par un employé de TikTok qui montre que les intérêts des utilisateurs sont transformés en obsession numérique. L’article souligne que l’application consolide son hégémonie numérique grâce à « une fine compréhension de la nature humaine». Tel le chant des sirènes, Tiktok a mis en place le bouton « shop now » qui permet d’acheter directement les publicités partagées par les influenceurs.
Vernis craquelé de la consommation durable
« Je vais en friperie une fois par mois, je dépose 50 euros grand maximum ça me permet de dépenser moins et de manière plus intelligente. Je suis clairement dans une démarche écologique, j’ai l’impression qu’à mon échelle je contribue au changement » nous confie Lola. Cette nouvelle conscience écologique correspond à un mouvement plus général d’intérêt pour la friperie. Le site américain Thred Up prédit qu’en 2028 le secteur de la friperie dépassera celui de la fast fashion. Au fil des années, la friperie est passée d’un statut « vieillot » à un label « tendance ». Cette mode responsable implique un certain « aspect psychologique » pour ses adeptes. « On se déculpabilise quand on va en friperie, c’est notre bonne action du jour en fait », nous confie Mathias, étudiant en histoire de l’art. Pourtant acheter en friperie n’est pas forcément synonyme de consommation maîtrisée. L’effet de mode autour des friperies pousse les utilisateurs de Tik Tok à une forme de surconsommation. La seconde main est devenue tendance, les grandes marques surfent sur ce succès en proposant à leurs clients des pièces déjà portées pour réécrire l’histoire du vêtement. Les influenceurs adeptes de seconde main font régulièrement l’objet de magazines prestigieux comme Vogue ou Dazed. Aller en friperie, c’est comme partir à la chasse au trésor. Avec vingt euros en poche, on peut tomber sur un jean Levis à dix euros et compléter ce look avec une chemise Ralph Lauren à dix euros. Cette recherche de pièces uniques pousse les acheteurs à y retourner plusieurs fois. «Pour être transparent, je pense que j’achète le même volume de vêtement en friperie qu’en fast fashion mais pour moi ce n’est pas pareil car déjà les articles ne sont pas au même prix et en plus la friperie c’est une mode responsable. C’est comme si j’entretenais un cercle vertueux », nous confie Lola.
« On se déculpabilise quand on va en friperie, c’est notre bonne action du jour en fait »
Mathias
Cet aspect vertueux de la mode est poussé par les influenceurs qui incitent leurs abonnés à donner leurs vêtements de seconde main à des œuvres de charité. Ces vêtements envoyés au continent africain ont des conséquences écologiques désastreuses. En 2019, le Royaume Uni a envoyé 300 000 tonnes de vêtements au Ghana qui est devenu un des pays qui vend le plus de seconde main. Pourtant, le pays est saturé par cet envoi massif de vêtements de mauvaise qualité qui sont envoyés dans les décharges du pays où leur décomposition entraîne une contamination chimique des cours d’eau. La seconde main se pense verte mais les vêtements non vendus finissent par être envoyés sur les côtes africaines provoquant ainsi des conséquences écologiques importantes. Consommer durablement est un mirage car les conséquences climatiques dévastatrices se déplacent sur un autre pays.
La plateforme pousse sa stratégie numérique, plus loin, en s’alliant avec Facebook. Le réseau social a créé les casques à réalité augmentée Quest Pro qui permettront aux utilisateurs d’être au cœur du vêtement. Sur TikTok, Black mirror devient la réalité.
Démarche photographique
Avec ces mosaïques, j’ai souhaité montrer le côté envahissant des vêtements, peu importe le type de boutique dans lequel on les achète. Cependant, j’ai souhaité noter la différence entre fastfashion et seconde main : l’un est unique, l’autre pas !