Les adolescents sur TikTok, à la recherche de la couronne.

TikTok, l’application gratuite qui explose chez les adolescents, a retenu notre attention. Le 02 décembre 2019, nous nous sommes donc rendus à un collège situé à Saint-Ouen afin de mieux comprendre l’impact de cette application populaire sur les jeunes ados, sur leur estime de soi et sur la course à la célébrité .

Nous y avons rencontré quatre adolescents Lola (14 ans), Didier (14 ans), Lila (11 ans) et Manon (11 ans) qui ont accepté de nous faire part de leurs interactions avec cette plateforme, leur peur de tomber dans le narcissisme et parfois leur quête de la célébrité sur ce réseau social. Nous avons aussi interviewé Cyril Di Palma, le délégué général de l’association Génération Numérique lors d’un entretien téléphonique le 03 décembre 2019. Depuis 16 ans, cette association mène, partout en France, des actions d’éducation au numérique et aux médias auprès des jeunes.

L’application TikTok, propriété du groupe chinois BytoDance, vient de dépasser la barre du milliard de téléchargements devenant ainsi la dernière application à la mode plus particulièrement chez la population préadolescente. Selon une enquête menée par Génération Numérique, 2,5 millions d’ados l’utilisent en France. 

Cette plateforme chinoise permet de poster des vidéos courtes sur lesquelles les jeunes chantent en playback, dansent sur des morceaux de musique ou relèvent des défis comme marcher à l’envers, parler avec ses pieds ou changer de tenue 10 fois dans la même vidéo.   

TikTok réunit les fonctionnalités préférées des jeunes sur les autres réseaux sociaux : partage, possibilité de liker, de commenter et d’ajouter des filtres et des effets divers. Mais si l’application fait fureur auprès de la population jeune c’est notamment grâce au positionnement de Tiktok avec la création de clips vidéos basés sur la musique. « Il faut pas oublier que la musique est le premier divertissement de la population jeune. Les chanteurs.euses  sont parmi les modèles les plus importants aux yeux des enfants », affirme Cyril Di Palma, le délégué général de l’association Génération Numérique. «  Quand vous couplez cela avec la force d’un réseau social, vous avez un succès qui était garanti .» 

L’accès à la scène internationale

Lola utilisatrice de TikTok depuis 3 ans a confirmé cette hypothèse : « C’est une application qui me semble plus internationale. Il y a des gens de partout dans le monde. Donc on peut y trouver tous les goûts, toutes les cultures, toutes les nationalités… Et comme il y’a la musique, on a moins besoin de comprendre les paroles». 

Ce succès a même dépassé celui des autres réseaux socio numériques. En 2018, TikTok est devenu une application plus téléchargée qu’Instagram, Facebook et Snapchat. Contrairement aux autres plateformes, TikTok réussit à toucher les plus jeunes grâce à une dimension ludique et au recours à la musique.

Un autre aspect de l’application qui attire les ados, c’est aussi le caractère  aléatoire de TikTok. TikTok s’appuie sur un algorithme addictif, basé sur la récompense aléatoire qui favorise l’utilisation accro des préados de cette application. Ce mécanisme de récompense consiste à montrer à l’utilisateur une vidéo différente chaque fois. « On peut jamais tomber sur la même vidéo. On s’habitue facilement à rester des heures et des heures devant TikTok vu son contenu très divers et divertissant. « Maintenant, j’ai limité  ma consommation de TikTok comme c’est la période des brevets blancs mais avant, je pouvais l’utiliser jusqu’à 3 heures par jour », résume Didier, utilisateur de l’application depuis un mois. 

Une chercheuse qui a compris comment les réseaux sociaux et les applications comme TikTok capte notre cerveau pour nous donner sans cesse envie de nous connecter est Natasha Dow Scholl, anthropologue à l’université de New York et auteure de Adiction by Design. Dans son livre, Dow Scholl explique que la technique basée sur la récompense aléatoire est l’un des mécanismes psychologiques les plus puissants favorisant l’addiction. « Les machines à sous qui fonctionnent tout simplement sur ce système rapportent plus aux Etats-Unis que l’industrie du baseball, du cinéma et des parcs d’attraction réunis », écrit l’anthropologue. Dans la même optique, Judith Du Portail, journaliste et autrice de Amour sous algorithme, écrit : «  En comparaison avec les autres types des jeux d’argent, les parieurs développent des problèmes d’addiction aux machines à sous trois ou quatre fois plus rapidement. De bêtes machines  à sous avec des motifs qui défilent, des bananes, des dollars, des cerises. »

Jusqu’à présent, les chercheurs ont constaté un phénomène de mimétisme par lequel les plus jeunes allaient sur des plateformes telles qu’Instagram et Facebook parce que leurs copains plus âgés y étaient. Cependant, avec TikTok, les jeunes utilisateurs trouvent leur compte avec une plateforme dédiée pour eux notamment grâce à son ergonomie bien pensée pour ce public. «  Je trouve que TikTok est une plateforme extrêmement ergonomique et très bien faite. C’est facile de s’adapter, de comprendre comment ça marche… La prise en main est très facile », nous glisse Didier.    

Le Mur des approbations.

Atteindre la perfection c’est gagner la couronne !

Avides de remporter le plus de likes et d’abonnés, certains adolescents doivent développer des stratégies pour être non seulement beaux aux yeux des autres mais aussi le plus ‘parfait’ possible. Lola nous a confié : «  Je trouve que mes vidéos ne sont pas perfectionnées et moi je préfère quand c’est bien fait. Donc quand je fais une vidéo TikTok, je la publie d’abord en privé pour pouvoir la retravailler et la rendre parfaite avant de la mettre en public. Si on veut vraiment faire un bon TikTok, un TikTok parfait, il faut du temps. »

A partir d’un certain nombre d’abonnés, TikTok attribue à ses utilisateurs une couronne qui s’affiche dans leurs comptes. Ainsi, les comptes couronnés seront mis en avant sur le réseaux social. «  Si TikTok considère que tu mérite la couronne c’est que tu as un compte qui fait du bon contenu, un contenu parfait. Cela m’agace. Je voulais trop avoir la couronne mais je ne pouvais pas parce que je n’avais le nombre d’abonnées qu’il faut », raconte Lola.

Cette poursuite de la perfection peut parfois entraîner certains utilisateurs à publier des commentaires violents afin de rabaisser l’autres, et donc se valoriser et être le premier dans la course à la célébrité. « Les commentaires de haine sont très fréquents sur TikTok. Il  y a des gens qui mettent des mauvais commentaires juste pour mettre leurs profils en avant. Ils croient qu’en rabaissant les autres, ils montrent qu’eux, ils font de meilleurs TikToks. Moi je trouve ça dommage, car le but c’est de s’amuser, ce n’est pas une concurrence », affirme Lola avec un ton agacé.

Et l’envers du décor dans tout ça… ? 

 Si TikTok connait un énorme succès depuis sa création, l’application n’est pas sans susciter de nombreuses controversess. Le réseau socionumérique est parfois le terrain de défis très dangereux. Par exemple, rien qu’au mois de novembre, on pouvait voir sur la plateforme des préadolescents tenter de changer la couleur de leurs yeux avec de l’eau de javel dans le cadre d’un défi inefficace et très dangereux appelé le bright eye challenge. Initialement conçu comme une vidéo falsifiée par des logiciels d’édition, ce défi a été repris par de nombreux tiktokers. 

Face à la viralité du concept et l’ampleur du phénomène, les vidéos ont été retirées de la plateforme par ses responsables.  « Ce challenge va à l’encontre de notre charte, selon laquelle nous voulons que notre plateforme soit utilisée de manière positive et sûre. Bien que les utilisateurs à l’origine du challenge l’aient pensé comme une blague, nous avons retiré les vidéos pour protéger notre communauté », a déclaré un porte-parole de TikTok au quotidien britannique Mirror le 8 novembre 2019.

Il ne s’agit d’ailleurs pas de la seule dérive de cette nouvelle plateforme. Fin février 2019, la populaire application musicale a reçu une amende de 5,7 millions de dollars de la commission fédérale du commerce aux Etats-Unis (FTC). La plateforme était accusée de collecter illégalement des données sur des mineurs de moins de 13 ans. ( cf. TikTok et la « Gen Z » : se mettre en scène à tout prix ? )

Un autre reproche envers TikTok concerne l’hypersexualisation des mineurs. Cette plateforme s’est fondée sur le playback et la reproduction de clips vidéos notamment de la musique urbaine, la musique préférée des jeunes. Comme les modèles de la musique urbaine sont souvent représentés par des adultes dans des postures sexualisées, on constate un phénomène de mimétisme naïf et parfois néfaste. « Des gamins et des gamines vont mimer, singer et interpréter le clip de Cardi B,  Nicki Minaj ou d’autres sans se rendre compte de ce qu’ils miment ni du résultat que ça peut occasionner sur des adultes malveillants », affirme Cyril Di Palma. 

L’Enfance Fanée.

Il n’est pas rare sur TikTok de tomber sur un clip montrant une jeune fille de 11 ans danser lascivement, le nombril dénudé, dans de vêtements moulants, tentant d’imiter son idole, sans avoir conscience des risques. Ainsi, on a des préados avec des postures, des tenues et un maquillage sexualisé et des spectateurs qui peuvent être des prédateurs sexuels.        

Faut-il avoir peur de TikTok… ?

Démarche photographique

Les sujets abordés étant immatériels par nature, comment les représenter par l’image ? Ainsi il est intéressant d’avoir recours au truchement des symboles et donc de mettre en scène des natures mortes, dans la tradition des peintures de vanités. Les images furent produites à partir de photographies préexistantes, puis assemblées via un logiciel de retouche. Suivant une méthode qui s’approche des photomontages de la période du dadaïsme berlinois, notamment le travail facétieux et poétique d’Hannah Hoch.  En résulte trois images qui évoquent respectivement : l’affirmation de soi, la volonté de spectacle et la nature éphémère de l’enfance.

La peur n’évite pas le danger. C’est pourquoi il est important de s’informer, d’informer, de sensibiliser et d’accompagner les préados. Au lieu de les surveiller, le mieux serait de leur expliquer les risques en leur apprenant à bien paramétrer leurs comptes. Par exemple, il est possible d’empêcher le téléchargement des vidéos, empêcher les autres d’envoyer des messages directs, de désactiver les commentaires, de limiter l’apparition des vidéos qui peuvent heurter la sensibilité du public et de rendre le compte privé ce qui limite la visibilité aux amis.

De son coté, la plateforme affirme que tout est contrôlé.  « Notre équipe de modérateurs supprime tout contenu inapproprié ou compte qui viole nos conditions d’utilisation », précise une porte parole de la plateforme dans un entretien avec le Parisien. « En ce qui concerne le contrôle de l’âge des usagers, « nous avons noté l’application comme réservée aux plus de 12 ans, ce qui permet aux parents de bloquer l’application sur le téléphone de leur enfant via un système de contrôle parental », précise TikTok. La plateforme propose également un guide (en anglais) pour les parents qui explique comment assurer la sécurité de leurs enfants en ligne, ajoute le service de communication de l’entreprise.  

L'auteur.e

Hadjer Reggam
Dotée d’une double formation en communication et journalisme, Hadjer effectue actuellement un stage au sein de la mairie de Suresnes. Elle est diplômée d’un Master 2 Médias et Culture et elle achève un second Master 2 en Culture et Communication. Hadjer a pu mettre en œuvre ses compétences, au sein d’une rédaction en ligne, lors d’une première expérience en tant que rédactrice Web puis journaliste reportrice et chroniqueuse au sein de la radio Vivre FM, où elle a également assuré des missions de chargée de communication.

Le.la photographe

Issu d’une famille d’artisans photographes du Nord de France, il grandit très tôt dans le milieu de l’image. Après avoir appris en école d’ingénieurs à allier savoir-faire technique et relations humaines, il rejoint l’École Nationale Supérieure Louis-Lumière afin d’y adjoindre une spécialisation autant technique qu’artistique dans les métiers de l’image. Par ailleurs, grand amateur de chocolat, de Baudelaire et de Caspar David Friedrich.

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