Jeux de connexion : une nouvelle approche de la médiation numérique

Aidant numérique, Nordine Djabouabdallah exerce dans un Espace Public Numérique (EPN) au sein de la Goutte d’Or. Il nous fait découvrir, à travers son expérience et son travail, une nouvelle manière d’aborder le numérique pour aider des personnes en difficulté face aux nouvelles technologies.

Photographie par Juliette Paulet

Portrait

Depuis 2002, Nordine Djabouabdallah travaille dans le numérique. Il n’était pourtant pas destiné à cette voie. Après avoir décroché un baccalauréat Littérature option Art Plastique, il a commencé son parcours par des petits boulots avant d’être preneur de note pour des associations de sourds et malentendants afin de faire le lien entre les personnes et les structures qui n’étaient pas adaptées. Quand il commence à travailler dans le numérique, en 2002, nous sommes aux prémices de la démocratisation d’internet. Il devient ainsi animateur des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses projets portent sur des activités de loisirs et culturelles en direction des jeunes de banlieue et incluent un volet insertion professionnelle pour les jeunes déscolarisés.

Par la suite, il se dirige vers l’école du cinéma, la Femis, en charge de la maintenance informatique, devient ensuite concepteur de jeux, puis animateur multimédia au musée des sciences et du numérique L’Exploradrôme. Au regard de ce parcours, Nordine Djabouabdallah s’est formé sur le tas. N’ayant pas de formation à proprement parler, il a grandi avec des micro-ordinateurs et des consoles, il a appris de manière autonome l’usage des outils numériques avec des livres, et évolue en même temps qu’internet, qu’il utilise dès la fin des années 90. Malgré le fait qu’ « il y avait très peu de gens qui étaient équipés, et [que] même ceux qui étaient équipés ne savaient pas forcément les utiliser », il s’initie très vite à cette nouvelle technologie. Après ces diverses expériences, Nordine D. a décidé de changer d’environnement pour travailler au sein de l’Espace Public Numérique(EPN) du quartier populaire du 18ème arrondissement de Paris, appelé la Goutte d’Ordinateur. Son parcours traduit ses motivations pour travailler dans une certaine proximité avec son public, dans la culture numérique et l’inclusion des individus face aux évolutions de la société. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’il a souhaité quitter le monde du jeu vidéo « qui est très dur, compliqué, et très normalisé ».

Après ces diverses expériences, Nordine D. a décidé de changer d’environnement pour travailler au sein de l’Espace Public Numérique (EPN), appelé la Goutte d’Ordinateur, au sein du quartier populaire du 18ème arrondissement de Paris. Un choix qui s’explique par son parcours et ses motivations pour travailler dans une certaine proximité avec son public, dans la culture numérique et l’inclusion des individus face aux évolutions de la société. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’il a souhaité quitter le monde du jeu vidéo « qui est très dur, compliqué, et très normalisé ».

L’EPN, un lieu pour se familiariser avec les outils numériques

Les EPN sont des lieux créés au début des années 2000, qui permettent de familiariser tous les publics et leur faire découvrir les usages et outils du numérique. Ces « tiers-lieux » [efn_note] Article Espaces Publics Numériques à Paris, l’information et le numérique à la porté de tous à Paris,  http://www.epn-paris.org/notre mission/[/efn_note], à but non lucratif, souvent gérés par des associations, ont pour mission d’accompagner et d’aider chaque individu à ne pas être exclu de ces nouvelles pratiques numériques, qui évoluent rapidement. Selon Nordine D., un EPN s’adresse à

« ceux qui ne savent pas ou peu utiliser le numérique, savoir comment ça marche. Que ce soit un jeune ou un senior, la fracture doit être résorbée le plus tôt possible ».

Nordine Djabouabdallah, aidant numérique

La fracture dont nous parle Nordine D. ici est la « fracture numérique ». De nombreux politiques se sont emparés de cette question et sont arrivés à la conclusion que la fracture se caractérisait par des inégalités d’accès aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Cette analyse a été contestée par de nombreux scientifiques, sur l’argument suivant : « comme s’il suffisait à un individu de se connecter pour passer de l’autre côté de la barrière numérique” [efn_note]BROTCORNE Périne et VALENDUC Gérard, « Les compétences numériques et les inégalités dans les usages d’internet. Comment réduire ces inégalités ? » Les Cahiers du numérique, 2009/1 Vol. 5, p. 45-68. [/efn_note].

Dans cette vision des choses, l’utilisation et la connaissance sont supposées être automatique, sans prendre en considération l’environnement socio-culturel de l’individu. Sous cet angle, de nouvelles perspectives ont été élaborées afin d’appréhender la notion de fracture numérique en profondeur. En 1998, Kling a été le pionnier sur ces questions, en reliant les inégalités, non plus à l’accès mais bien aux « compétences et connaissances » de ceux déjà connectés (Brotcorne et Valenduc, 2009). La comparaison ne se situe plus entre ceux qui ont accès et ceux qui n’y ont pas accès, mais plutôt entre ceux qui ont déjà accès à ces outils en comparant leurs « compétences et connaissances » d’usage. A travers ce prisme, la fracture est devenue multidimensionnelle, décomposée en plusieurs fractures.

Ainsi, dans un environnement économique, social et politique, qui tend à dématérialiser la majorité des démarches administratives (dans le cadre du projet Action Publique 2022)

[efn_note]ROLLAND Sylvain, L’État 100 % numérique de Macron coûtera 9,3 milliards d’euros, La Tribune, https://www.latribune.fr/economie/france/l-etat-100-numerique-de-macron-coutera-9-3-milliards-d-euros-751606.html, 26/09/2017[/efn_note] les inégalités tendent à « l’e-exclusion »
». Le fossé qui se crée devient un enjeu démocratique. Pour cette raison, les pouvoirs publics ont construit des dispositifs, n
otamment, le programme du Plan National d’Action Contre la Fracture Numérique
(2018) comprenant
des objectifs de formation aux TIC, relayé par des aidants numériques. Ces différentes mesures font office de levier social et économique. Notamment dans un contexte où en 2016, « ce sont 28 % des usagers [qui] souhaitent une aide et un accompagnement dans des lieux de proximité » (Credoc)[efn_note]ALBEROLA Elodie, CROUTTE Patricia, HOIBIAN Sandra, CREDOC, Consommation et modes de vie, N°288 – ISSN 0295 – 9976 – avril 2017[/efn_note]. Cet accompagnement se caractérise par des initiations au web, aux différentes démarches administratives et à l’aide à l’insertion professionnelle. Les aidants numériques ont pour mission de favoriser cette inclusion numérique. Mais de quelle manière s’y prennent-ils ? quelles sont les relations
d’échange et les motivations des publics ? Comment ces « médiateurs numériques » réussissent-ils à capter et garder leur attention ?

Photographie par Juliette Paulet

Les fonctions de Nordine D. font partie d’un réseau d’inclusion numérique (stratégie parisienne de l’inclusion numérique) qui représente désormais un enjeu vis-à-vis de l’insertion professionnelle et sociale. Ainsi, pour respecter au mieux son rôle d’aidant numérique, Nordine D. intègre son public dans son intégralité et pense son métier, au delà des catégories sociales, avec une nouvelle approche. Il aborde le numérique autrement que sous l’aspect utilitaire afin de sortir de la vision commerciale d’internet et l’approcher de manière plus ludique et créative. La dimension intergénérationnel est un point prédominantdans sa conception de l’apprentissage de la culture numérique. Selon lui :

« L’idée c’est de se remettre en question, de s’interroger sur ce que l’on fait, comment on le fait, à qui on s’adresse … Moi quand je suis arrivé il existait déjà un certain nombre de choses et pour revenir sur l’aspect ludique et créatif, même si on a beaucoup porté nos actions envers un public jeune, des associations et écoles, on a quand même fait des choses avec et auprès des adultes avec notamment le Club de l’EPN, avec des webradios : découvertes de jeux vidéo, création de jeux vidéo etc. Il y a des personnes âgées qui participaient et qui s’éclataient à ça » car « tout ce qui est ludique et créatif, je pense que ça devrait s’adresser absolument à tout le monde ».

Photographie par Juliette Paulet

D’autant plus que les jeunes sont également très touchés par la fracture numérique. Si Marc Prensky, avec son concept de « digital natives » (2001), explicitait que la nouvelle génération baignait dans ces outils dès leur plus jeune âge et de fait, savaient en user, il s’avère que les outils numériques ne se résument pas aux simples pratiques de divertissement dont cette génération use le plus souvent. Selon Nordine D. « le fait que nous considérions que parce qu’ils sont jeunes ils savent utiliser, alors que ce n’est pas le cas, ça accroît davantage la fracture ».

L’aidant numérique nous explique également que « la première source de motivation, c’est qu’ils sont conscient d’être très déconnectés, et pas forcément à l’emploi ou à l’administration, ça peut être très personnel. Il y a beaucoup de gens qui aimeraient pouvoir envoyer un mail ou discuter en vidéo chat avec la famille restée au pays et ils ne peuvent pas car ils ne savent pas faire, donc les sources de motivations sont diverses. Mais à un moment donné ils ont un déclic, et se disent : maintenant j’ai besoin de savoir faire ».

Dans cette optique, les aidants numériques mettent en œuvre des méthodes d’apprentissage afin de faciliter la compréhension et l’adaptation des publics vers ces nouveaux usages.

Au sein de la Goutte d’Ordinateur, l’équipe de l’EPN accompagnée de ses bénévoles attache de l’importance à faire découvrir à leurs usagers une culture numérique ludique, notamment à travers le Club de l’EPN. Ce rendez-vous mensuel permet à un groupe de personnes de proposer et réaliser des activités en dehors des ateliers traditionnels de la semaine. Précédemment, ils organisaient des sessions de webradio, avec les petits comme avec les grands. Nordine D. animait des ateliers dans le but de montrer comment il était possible de réaliser un enregistrement décliné sous forme d’émission (chroniqueurs, invités, animateurs…) et ce, sur des sujets choisis par l’ensemble des participants. C’était une occasion de découvrir les outils techniques qui permettent d’enregistrer les différentes voix (micros, casques, enregistreurs), tout en construisant une émission radio. Il a réalisé également des ateliers sur la réalité virtuelle, dirigés autant vers les jeunes que vers les seniors. Le Club a également organisé une sortie à La Villette lors de l’exposition TeamLab qui met en lumière l’art numérique.

L’idée est de leur apporter des ressources culturelles et sociales, en créant de nouveaux réseaux sociaux (hors numérique) qui fait souvent défaut dans l’utilisation du numérique. Construire un nouveau lien social grâce à l’aspect créatif, ludique et divertissant des activités.

Selon lui, il est important de déconstruire les idées de l’inclusion numérique par l’unique accompagnement à travers la réalisation de curriculum vitae, de traitement de texte, de démarche administrative et de dépasser cette étape afin de rentrer dans un réseau d’inclusion.

Nordine D. souhaite continuer dans cette direction et s’engage dans de nouveaux projets afin de dynamiser toujours plus son activité et y faire bénéficier un public toujours plus large.

L'auteur.e

Sandrine Morillas

Le.la photographe

Juliette Paulet

Articles similaires

backup

Retour en haut